La Théorie du Y: la balle aux genres

Léone François: "Pour moi, la série aura réussi lorsqu'elle sera regardée pour ce qu'elle est: une histoire d'amour." © MARINE VAN CAMPENHOUT
Nicolas Bogaerts Journaliste

En cette rentrée, l’événement côté RTBF est à lorgner du côté du Web, où la nouvelle saison de La Théorie du Y approfondit son regard sur les questions de genre et la sexualité plurielle. Avec, pour décor, Bruxelles et sa diversité.

La websérie adaptée de la pièce de Caroline Taillet poursuit ses recherches sur le désir, les assignations et les injonctions. Plaisirs, genres et diversité sont au rendez-vous d’une fiction centrée autour du personnage d’Anna, incarnée par l’électrisante Léone François, en pleine quête du sens à donner à ses multiples attirances. Bruxelles a offert à l’essentiel des scènes ses décors, et sa diversité à un scénario qui tend l’oreille et ouvre les yeux sur des communautés LGBTQI souvent invisibles. Alors que cette même diversité crée une immense richesse et une source inépuisable de désirs. Rencontre au coeur d’un tournage printanier, au nord de la capitale, avec Caroline Taillet et Martin Landmeters, les créateurs de La Théorie du Y, et Léone François.

Martin Landmeters et Caroline Taillet:
Martin Landmeters et Caroline Taillet: « Nous ne sommes pas là pour séduire les jeunes, mais pour tenter de les comprendre. »© SERGE TAVITIAN

Comment Anna a-t-elle évolué entre les deux saisons?

Léone François: Après une ellipse de quelques mois, les nouveaux épisodes s’ouvrent sur une Anna beaucoup plus affirmée, qui cherche à s’intégrer, en tant que bisexuelle, dans la communauté LGBTQI. Elle se lance dans un projet d’installation documentaire sur le plaisir dans le monde lesbien. Elle questionne des femmes qui s’ouvrent librement, avec une sincérité fragile ou assumée, sur les questions du désir et du plaisir.

Martin Landmeters: L’exposition montée par Anna, on l’a vraiment mise au point durant le tournage. Ce sera une expérience à découvrir en parallèle à la diffusion, dans divers endroits de Belgique, pour pousser la réflexion.

La deuxième saison s’avance plus encore au coeur des questions de genre, de sexualité, dans un cadre concret: Bruxelles. Pourquoi ce besoin de montrer la ville?

Caroline Taillet: Parce qu’il nous semblait crucial de montrer la vitalité de Bruxelles, l’engagement des lieux qu’on aime autour des questions qui traversent la série. Martin et moi avons synthétisé tout cela dans le Boudoir, un lieu très important de la saison, un bar/QG lesbien où Anna va poursuivre sa quête, décider de s’engager davantage ou non dans la communauté.

Les personnages de Malik, de Lucie, mais également quelques nouvelles têtes, ne sont pas si secondaires. C’est pour mieux éviter le piège des clichés?

C.T.: C’est inévitable, il reste encore des clichés à déconstruire. Et pas que dans le monde hétéro. La bisexualité, du point de vue de la communauté LGBTQI, n’en est pas exempte. Nous avons écrit une scène à ce sujet, car c’est une réalité.

M.L.: Questionner les stéréotypes, les regards réciproques autour de la communauté mais aussi au sein de la communauté, a été un des moteurs de cette deuxième saison. Nous avons essayé de raconter ce que nous voyons le plus complètement possible. La première saison ouvrait la possibilité d’une multiplicité dans la sexualité, cette saison-ci est davantage sous le signe des minorités. On a beaucoup discuté, Caroline et moi, avec des groupes de gays maghrébins, par exemple. Il est temps de sortir tout ce beau monde de l’invisibilité, de retirer les oeillères, d’ouvrir les yeux et de changer de regard sur toute cette énergie qui circule aujourd’hui.

C.T.: Même si l’homosexualité et la fluidité des genres sont plus présentes sur les écrans, il y a toujours un peu de gêne avec la bisexualité. Une forme de continent à part, qui concentre les clichés hétéro et homosexuels. Nous tenons à explorer ce continent et à le rattacher aux autres parcelles, que chaque personnage puisse évoluer pleinement, comme celui de Lucie, qui connaît une évolution intéressante au cours de cette saison. Nous voulons leur donner de la place, une voix.

Comment voyez-vous la série répondre à ce besoin de visibilité?

L.F.: Le succès de la première saison nous a un peu surpris. Même si on a les yeux rivés sur le nombre de vues sur Auvio, le format série, par rapport au théâtre dont est issue l’histoire à la base, ne permet pas de connaître les réactions du public. Les retours de certains spectateurs que j’ai pu croiser m’ont fait prendre conscience de l’impact qu’une websérie peut avoir quand elle aborde ces sujets peu arpentés. La multiplicité des sexualités et tout ce qu’elles impliquent personnellement et collectivement, ce sont des thèmes très délicats. J’ai surtout été surprise des réactions chez les ados, les jeunes adultes. Il y a eu des témoignages très émouvants, de filles, de garçons. Plus j’échange avec eux, plus je travaille ce rôle, plus je sens que c’est important. L’écriture précise de Caroline et Martin, qui travaillent en partant du réel, permet cette identification.

Toucher le public des 20-30 ans sur la question des sexualités, c’est plus facile dans une websérie?

C.T.: Nous ne sommes pas là pour séduire les jeunes, mais pour tenter de les comprendre. Toute la difficulté, dans le scénario, les dialogues, le jeu d’acteurs, c’est de parvenir à véhiculer des clichés pour les démonter.

M.L.: Je ne vois pas réellement de différence entre le Web et la télé à partir du moment où on décide de parler ouvertement d’un sujet fort et que l’on assume la manière dont on le fait. Pour les scènes d’amour, les questions sont les mêmes: que veut-on, que peut-on montrer? On choisit de montrer ce qui est écrit.

Léone, cette intimité montrée à l’écran, qu’elle soit sexuelle ou affective, comment l’abordez-vous en tant qu’actrice?

L.F.: Comme beaucoup d’acteurs et beaucoup d’actrices, je dose mes distances entre moi et le personnage, j’essaie de ne pas les rendre visibles au public. Ces barrières sont assez légères quand l’écriture et le regard sont justes. Je ne me sens pas plus mal à l’aise parce que mon personnage est bi, car ce qu’elle vit est de l’ordre du sentiment et de sa sexualité qui y est intimement liée. Pour moi, la série aura réussi lorsqu’elle sera regardée pour ce qu’elle est: une histoire d’amour.

La Théorie du Y: Websérie créée par Caroline Taillet et Martin Landmeters. Avec Léone François, Violette de Leu, Salim Talbi. Diffusion octobre 2019.

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