Reprise de Gaston Lagaffe: le bras de fer continue

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’arbitre a enfin rendu sa décision dans le conflit qui oppose les éditions Dupuis et la fille d’André Franquin autour d’une reprise de « Gaston Lagaffe »… mais les deux parties l’interprètent différemment ! En soi le principe d’une reprise est autorisé et acté, mais pas en l’état, et pas sans accord.

La reprise de Gaston Lagaffe par le dessinateur québécois Delaf, sur proposition des éditions Dupuis (et pression du groupe Médias Participations), restera dans les tiroirs tant qu’Isabelle Franquin ne l’autorisera pas. C’est en substance ce que l’on peut conclure à la lecture de la sentence arbitrale prononcée ce mardi 30 mai après un an d’attente (!) par l’avocat Jean-Ferdinand Puyraimond. Une sentence un peu « chèvrechoutiste » et très belge: l’arbitre autorise le principe d’une résurrection de Gaston… mais pas sans limites, et à condition de solliciter l’approbation préalable d’Isabelle Franquin, la fille de l’auteur décédé en 1997 et détentrice du droit moral. Approbation qu’elle se refuse à donner. Cette reprise, annoncée au festival d’Angoulême en mars 2022 puis dans la foulée dans Spirou, avec des premières planches, avait déjà été interdite de prépublication par une procédure en référé introduite rapidement par les avocats d’Isabelle Franquin. Et l’album prévu dans un premier temps en octobre dernier semble donc bel et bien mort-né, sauf retournement de situation et accord d’Isabelle.

L’arbitre avait à trancher plusieurs questions: Les sociétés Dupuis et Dargaud-Lombard ont-elles le droit de faire revivre le personnage de Gaston Lagaffe sous le crayon d’un autre dessinateur ? Dans l’affirmative, sont-elles libres d’imposer n’importe quel auteur/dessinateur de leur choix ? Les procédures contractuelles d’information d’Isabelle Franquin de tous les projets en cours et de validation des projets ont-elles été respectées par Dupuis et Dargaud-Lombard ? Isabelle Franquin a-t-elle exercé de manière abusive le droit moral ? Et enfin, Dupuis et Dargaud-Lombard sont-elles fondées à réclamer une indemnisation à charge d’Isabelle Franquin ?    

Oui, mais…

A la première question, l’arbitre estime que oui, comme l’explique le communiqué rédigé par Martine Berwette et Claude Katz, les avocats d’Isabelle Franquin: « Se fondant sur le contrat conclu en 1992 par la SA Franquin qui autorise « toute nouvelle utilisation » de Gaston et son environnement, l’arbitre décide que Dupuis et Dargaud-Lombard sont autorisées à faire de nouveaux albums de Gaston. Il estime qu’André Franquin n’a pas été univoque dans ses déclarations quant au fait que Gaston ne puisse lui survivre sous le crayon d’un autre dessinateur après sa mort, de sorte que l’écrit (le contrat de 1992) doit prévaloir« . Mais – et le « mais » est de taille- « l’arbitre pose toutefois des limites à cette autorisation de « principe ». Primo, Dupuis et Dargaud-Lombard n’ont pas le droit de faire réaliser ces nouvelles aventures par « n’importe quel » dessinateur/auteur de leur choix. Isabelle Franquin dispose du droit d’émettre des objections quant à ce choix pour des motifs éthiques ou artistiques. Idem quant au contenu de ces nouvelles BD. Secundo, Dupuis et Dargaud-Lombard doivent respecter le processus d’approbation fixé par une convention conclue avec Isabelle Franquin en 2016. » Une convention qui précise qu’Isabelle Franquin doit être informée tous les six mois des projets en cours. Or cette reprise de Gaston lui a été sciemment cachée pendant près de cinq ans! « L’arbitre en conclut que le projet de Gaston par Delaf n’a pas été approuvé par Isabelle Franquin et qu’elle est toujours en droit de faire valoir ses observations sous l’angle éthique ou artistique. L’arbitre rejette par conséquent la demande de réparation du dommage invoqué par Dupuis et Dargaud Lombard qui n’est que le résultat de leurs propres manquements au contrat et décide qu’Isabelle Franquin n’a commis aucun abus du droit moral, en s’opposant par principe à la résurrection de Gaston. » 

Une conférence de presse est prévue ce mercredi après-midi avec les avocats d’Isabelle Franquin. Les éditions Dupuis, elles, ont décidé de déjà persister et de signer : un communiqué a été diffusé ce mercredi matin pour annoncer… qu’un nouvel album de Gaston Lagaffe sera publié prochainement : « La décision arbitrale rendue ce jour met définitivement un terme au litige opposant Isabelle Franquin et Dupuis. « Nous regrettons les malentendus et les incompréhensions qui ont pu mener à ce différend », souligne Julie Durot, Directrice générale de la maison d’édition. « Dupuis a en effet toujours eu la plus grande considération pour le travail et le droit moral de Franquin, comme pour celui de tous les auteurs et toutes les autrices. La décision arbitrale vient confirmer notre respect du contrat signé par André Franquin. »

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