Laurent Raphaël

La philosophe Claire Marin nous invite à retrouver le goût des premières fois

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Premier baiser, première colère, premier accomplissement… Les premières fois ouvrent grand la porte des possibles. Pour ne pas céder à l’immobilisme à la résignation, la philosophe Claire Marin nous invite à renouer avec ces «instants bénis».

Avec l’âge, on ne perd pas qu’en tonus musculaire, en appétit -sexuel ou autre- et en capacités cognitives. On perd aussi la faculté de se réinventer, d’affronter l’inconnu, “cette souplesse première qui permet de se faufiler dans les interstices de différents mondes, de capter les signes à la dérobée et de s’en saisir”, pour reprendre les mots lumineux de la philosophe Claire Marin, qui vient de consacrer un essai roboratif aux prémices sous toutes ses formes (Les Débuts: par où commencer?, Autrement).

On collectionne tous les souvenirs de nos premières fois, heureuses ou calamiteuses, minuscules ou majuscules. Ils sont gravés en nous et pas seulement dans le refrain du tube eighties de Jeanne Mas. Premiers pas, premier baiser, première étreinte, premières règles, premier job, première humiliation, premier choc artistique, première déception sentimentale, premier pépin médical sérieux, premier enfant, premier exploit sportif, premier revers, première ride… A priori banals, cousus dans le tissu d’une existence ordinaire, ils élargissent pourtant l’horizon, ouvrent les portes de possibles qui déboucheront sur des métamorphoses, des épiphanies, des accomplissements, des révélations, des déceptions parfois aussi -mais qu’importe car, comme le clame la sagesse populaire, “toute expérience est bonne à prendre”.

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Celle qui autopsie depuis des années ces moments charnières qui jalonnent une vie -les maladies, les naissances, les deuils, les ruptures…- nous ouvre les yeux dans son nouveau livre sur l’importance de ces petites éclosions qui conditionnent bien souvent le passage à l’action. Individuelle et collective. À ce propos, elle parle même d’antidote à la tentation du défaitisme et de la soumission qu’encouragent insidieusement les discours collapsologiques d’un côté, la multiplication des prothèses numériques de l’autre. Sidération et paresse ne faisant pas bon ménage avec le devoir de résister, “d’ouvrir d’autres possibles”.

© National

Balayer les traces d’un quotidien qui s’accumule comme une pellicule de poussière, ternit les choses au point de les rendre invisibles (…). Dans cette cérémonie païenne de la nouveauté s’exprime un désir d’allègement et de régénération”, note l’autrice d’Être à sa place (L’Observatoire). Faire peau neuve n’apporte pas seulement une sensation grisante d’exister pleinement, de vivre plus vite, plus intensément, c’est aussi la garantie de ne pas rester englué dans le statu quo et l’immobilisme qui finissent par scléroser la pensée et épuiser les ressources d’énergie vitale.

Le môme multiplie les découvertes pour s’affranchir de la dépendance à la mère, l’ado carbure aux nouvelles expériences pour se délester de la peau tendre de l’enfance et affirmer son autonomie -“Nous apprenons à nous réjouir de leur insolence, signe d’une indispensable subversion du modèle”-, l’adulte pave sa route de ces “instants bénis” -dixit le philosophe Vladimir Jankélévitch- qui propulsent la vie “par à-coups et fugitivement la raniment”, voire remettent carrément tous les compteurs à zéro. à l’approche de la vieillesse, ces bifurcations et bouleversements volontaires s’imposent avec moins d’évidence. Même si subsistera toujours la nostalgie de cette impatience du corps et de l’esprit, avec “l’espoir secret d’une “dernière récolte”, selon les mots du romancier Nicolas Mathieu”. En amour ou sur d’autres terrains. La littérature et les arts en général entretiennent le muscle des (re)commencements. Par la seule force de l’imagination, ils sédimentent en nous d’autres destins que les nôtres. Et nous invitent à rebattre les cartes.

Cet état de fébrilité et cette conscience aiguë de la fragilité propres aux nouveaux départs, Bowie les sublimait dans sa chanson Absolute Beginners. “Mais nous sommes de vrais débutants/Avec les yeux grands ouverts/Mais nerveux tout de même”, susurrait le dandy, qui s’y connaissait comme personne en réinventions de soi.

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C’est une lapalissade, mais sans point de départ, pas de mouvement, pas de surprise, pas de destination non plus. Et ce n’est pas la Bible qui nous démentira, elle qui affirme d’emblée: “Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.” L’exemple vient d’en haut…

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