Critique | Musique

Twin Toes, les frères panards

3,5 / 5
Twin Toes, cour de récré indie pop d’Antoine Geluck et Nicolas Mouquet. © simon vanrie
3,5 / 5

Album - Long Story Short

Artiste - Twin Toes

Genre - Pop

Label - Capitane

Critique - L.H.

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Twin Toes -le duo constitué d’Antoine Geluck et Nicolas Mouquet- sort son premier album: Long Story Short, disque de pop indie absurde et délurée.

Il ne faut jamais louper une occasion de créer sa mythologie des premières fois. Mick Jagger a rencontré Keith Richards sur le quai d’une gare, Beyoncé a croisé Jay-Z dans un avion, et David et Jonathan ont fait connaissance au lycée. Pour le duo Twin Toes, c’est un orteil cassé qui scellera le lien.

Nicolas Mouquet, moustache-casquette: “Le batteur du groupe dans lequel je jouais à l’époque a voulu reculer sa chaise et m’a écrasé le pied en la reposant. Antoine Geluck, barbe de trois jours, crâne dégarni sous le bonnet: “Je me suis explosé l’orteil en shootant dans le sable, lors d’une partie de foot sur la plage avec 27 gamins…” Le lendemain, les deux éclopés ont rendez-vous pour répéter. À défaut d’échanger leur sang, les orteils cassés feront office de serment sacré: Twin Toes est officiellement né.

Deux ans plus tard, on retrouve les panards, forcément bleus, sur la pochette de leur premier album. Un gimmick, une marque de fabrique même. Voire carrément un programme politique: la musique de Twin Toes est d’abord et avant tout affaire d’accidents, de joyeux imprévus et de dérapages plus ou moins contrôlés. Une sorte de pop indé décalée, volontiers loufoque.

Quand Twin Toes prend forme, Nicolas Mouquet fait partie de Wuman, vainqueur du Concours Circuit 2016. À l’époque, Antoine Geluck/Chance (son nom de scène) voit le groupe en concert, au Bota. “En traînant au bar, j’ai croisé Nicolas et je lui ai dit à quel point j’avais trouvé le live super.” Plus tard, Antoine propose à Nicolas de le rejoindre sur ses propres concerts. À deux, ils imaginent même le Legendary Tour: malgré ses “16 likes sur Instagram”, Chance annonce des dates à Wembley, l’Olympia, l’Ancienne Belgique, etc. Ou plutôt les cafés, friteries et restos du même nom… Relayée dans le monde de la pub, dans lequel Nicolas travaille alors (“j’ai arrêté il y a un mois”), la vidéo pleine de second degré récoltera plusieurs prix du secteur. Antoine: “Quelque part, ça nous a aussi encouragés, à nous dire qu’au-delà de nos passions communes pour les ramens et les bières spéciales, il y avait un truc à faire à deux.

La collaboration arrive au bon moment. Nicolas: “Avec Wuman, ça commençait à devenir compliqué, on n’arrivait pas à se mettre d’accord sur la direction à prendre.” Du côté d’Antoine, aussi, le duo s’impose. Après un premier album en solitaire sous major (le tube Fou) et un deuxième à s’en défaire (Fantôme), il a envie de souffler. “J’étais dans une démarche solo, mais dans ma tête, on a toujours été plusieurs (rires). Du coup, bosser à deux, en miroir, m’a simplifié la vie. Quand l’autre te dit: “Hey, c’est pas mal ce que tu viens de faire”, tu gagnes tout de suite deux semaines.

© National

Foot corner

Unis comme les doigts de… pied, Antoine et Nicolas écrivent, composent, chantent ensemble. OK, mais qui est John? Qui est Paul? Qui garde le cadre? Qui en déborde? “C’est compliqué”, répondent-ils en chœur. Nicolas tente: “Étant fan de math rock, je suis peut-être le plus rythmique et cartésien, là où Antoine amène davantage les mélodies.” Antoine: “Mais l’inverse est vrai aussi.

Reprenons alors depuis le début. Un jour, les deux reprennent une ébauche, un magma musical d’une vingtaine de minutes. Ils commencent à tailler, recouper, redresser. Pour aboutir à une chanson qui, tout en gardant une certaine fantaisie, ne dépasse plus les 2 minutes 30, mélangeant guitares tourbillonnantes à la Battles et gimmick pop à la Vampire Weekend. Le morceau s’intitule Sunny Eggs, en anglais dans le texte donc. Nicolas: “Pour le coup, c’est plutôt moi qui ai écrit ces paroles. Je vis à Gand avec ma copine flamande, avec qui j’échange majoritairement en anglais, vu que mon niveau de néerlandais n’est pas ouf. Et ma mère vit en Irlande. Donc même si l’accent n’est pas parfait, je baigne un peu là-dedans.” Antoine: “Et puis l’anglais correspond aussi davantage aux influences qui ont nourri le projet.

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Ces influences sont musicales, mais plus encore cinématographiques. “Il y a beaucoup d’images dans nos chansons. Et une énergie que l’on trouve dans les films d’auteurs américains qui nous inspirent beaucoup. Dans The Last Song on Earth, il y a un peu du Swiss Army Man des Daniels. Lobstory, c’est davantage The Life Aquatic de Wes Anderson, on cite même Bill Murray.” On comprend mieux le goût du binôme pour une certaine poésie absurde. Twin Toes peut ainsi chanter sa passion pour les œufs brouillés (Sunny Eggs), imaginer une ballade capillaire (Ghost Hair) ou rêver une Bossa Charleroi. De son côté, Lost in Playlists est une chanson d’amour écrite uniquement avec des titres de playlists Spotify, tandis que Hahaha sample le rire de James Blake -qui n’a pas manqué de reposter le titre sur Instagram. Antoine: “On veut que ce soit surprenant. Et puis léger. On n’avait pas envie de passer dix ans sur un morceau, par exemple. Il fallait que ça aille vite, que ça reste frais.

Entre le néo-trentenaire (Nicolas est né en 1991) et le pré-quadra (il passera le cap l’an prochain), la connexion est limpide. Antoine: “J’ai toujours été plutôt introspectif, à me poser mille questions. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression de m’en poser beaucoup moins qu’à 20 ans, par exemple. L’autre jour, j’ai même reçu un SMS d’un pote qui me disait: “T’es le seul mec que je connaisse qui rajeunit!” (rires).” Une vraie cure de jouvence, Twin Toes? En tout cas, une chouette cour de récré, où tout est prétexte à jouer. D’où un premier disque bricolo, fait main -la pochette en plasticine-, avec les moyens du bord. “Pour Lobstory par exemple, on était dans une maison avec piscine. On y jetait des casseroles pour enregistrer le “plouf”. Au final, la rythmique du morceau est quasi entièrement réalisée avec des sons d’eau et de matelas qu’on dégonfle. Pas mal de titres ont été ainsi composés avec ce qu’on avait sous la main. Ça permet de créer des sons plus personnels. Ça rajoute de l’âme au morceau.

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