Critique | Musique

On a assisté au concert de Feist à l’AB: un show magique

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Concert - Feist

Date - 14-09-2023

Salle - Ancienne Belgique

Critique - L.H.

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Jeudi soir, à l’AB, Feist a redéfini l’idée de show intimiste, en livrant, pendant près de deux heures, l’un des concerts de l’année.

Vous aussi, vous avez parfois l’impression que le confinement n’est plus qu’un lointain souvenir ? Que les journées atones, passées calfeutrés chez soi, n’étaient qu’un mauvais rêve ? A l’époque, on se disait que plus rien ne serait pareil après la pandémie. Aujourd’hui, qui s’en souvient encore ? Feist, elle, n’a pas oublié. Dès l’été 2021, elle profitait de la réouverture progressive des salles de concert pour proposer ses nouvelles chansons dans un dispositif différent, plus intimiste – « Un peu à la manière d’un théâtre expérimental socialiste ».

La formule n’avait été éprouvée que sur une dizaine de dates. Entretemps, la Canadienne a sorti son 4e album, Multitudes. Et s’est lancée dans une nouvelle tournée, plus conséquente, mais en repartant de la même feuille de route. Jeudi soir, Feist la présentait à Bruxelles, à l’Ancienne Belgique. Et, pour faire court, elle a subjugué, en proposant l’un des concerts les plus renversants, inventifs, et émouvants, que l’on ait vu depuis longtemps.  

On avoue une fâcheuse habitude : celle de lire les résumés des films avant d’aller au cinéma, ou d’éplucher les critiques de concerts avant d’aller les voir en salle (pire : on checke les setlists). Pour Feist, cependant, on n’avait pas vraiment eu l’occasion de vérifier à quoi allait ressembler son tour de piste. Coup de bol : on aurait certainement perdu beaucoup de la magie de la soirée en en connaissant déjà toutes les principales ficelles.

Mise à nu

Il est 20 heures passé de quelques minutes quand la musicienne déboule et avance jusqu’au podium, installé au centre de la salle. La guitare en bandoulière et le téléphone à la main : l’appareil servira de caméra, diffusant en direct les images sur le grand écran, disposé au fond de la grande scène. Au milieu du public, Feist joue le dépouillement. Complètement mises à nu, les premières chansons n’en perdent pas pour autant leurs aspérités, à l’image des grattes acoustiques, souvent amochées et rafistolées, qu’empoigne la chanteuse. Il faut l’entendre, par exemple, sur The Bad In Each Other, la voix liane et légèrement éraillée, fragile et autoritaire.

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Ici et là, Feist enregistre bien une boucle, lance l’une ou l’autre seconde voix. Mais en général, les morceaux sont livrés à l’os. C’en est presque intimidant. Heureusement, loin de la pythie folk un peu glaciale, Feist prend aussi le temps de briser la glace entre les morceaux. Conteuse touchante, adepte de l’humour gentiment ironique et autoflagellatoire, elle interpelle le public, blague, enchaîne les anecdotes, désigne l’un ou l’autre pour mener les choeurs. Même quand elle se plante, sa guitare fourchant sur Forever Before, c’est l’occasion de digresser. A un moment, Feist finit par confier son téléphone/caméra à une personne dans le public, en lui demandant de filmer la salle et le public à sa place. Marc – c’est son prénom – capte des bouts de visage, des cous, des mains, zoome sur les photos de bébé sur les téléphones qu’on lui tend. Touchant.

L’homme à la caméra

Les apparences sont cependant parfois trompeuses. Et les gens multiples – Feist n’a pas appelé son album Multitudes pour rien. On comprend vite que « Marc » n’est pas vraiment un spectateur, mais bien un complice de Feist. Ce qui n’était alors « qu’ » un set unplugged presque comme un autre va muter progressivement en un show hyperscénarisé et minutieusement « chorégraphié », à la fois subtile et spectaculaire. Pendant Become The Earth, chanson sur l’omniprésence des absents, la salle est plongée dans le noir. Quand les lumières reviennent tout doucement, « Marc » filme toujours la salle. Mais sur l’écran, pourtant, l’AB est complètement vide et le micro déserté. Aussi simple que troublant.

Un peu plus tard, Feist redescend de son podium, avance dans le public pour chanter I Took All My Rings Off. Elle se met à genoux sur le plancher, mime la scène où elle enterre ses bijoux dans le sol, puis se dirige vers la scène. Là, nouveau coup de théâtre. Alors que le concert a atteint un nouveau sommet d’intimité et de vulnérabilité, le rideau tombe brutalement, dévoilant, sous une boule à facettes scintillantes, un vrai groupe – guitare, clavier, batterie, violon. Le concert prend alors une toute autre direction, plus « conventionnelle ». Mais sans perdre pour autant le fil, réussissant à conserver le lien que Feist a patiemment tissé pendant une heure.

Fulgurances visuelles

Pour cela, la Canadienne remonte plus volontiers le fil de sa discographie, jusqu’à ressortir ses plus gros tubes : My Moon My Man, I Feel It All et puis aussi Any Party, balancés l’une à la suite de l’autre, en toute euphorie. Juste derrière, les harmonies vocales de Hiding Out In The Open rappellent que le concert s’appuie aussi sur un dispositif immersif, la voix de Feist se décuplant aux quatre coins de la salle. Dans la dernière ligne droite, elle glisse encore Sea Lion Woman, extatique, et la scie 1 2 3 4, présenté sous la forme d’une rêverie.

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En rappel, Love Who We Are Meant To est l’occasion d’un ultime tour de force poético-visuelle. Sortant de derrière le rideau blanc, Feist redescend dans le public. Elle porte alors une cap verte, qui lui permet à la fois de générer des effets kaléidoscopiques, et de tendre une espèce d’auvent sous lequel elle invite les spectateurs à danser. Se couchant sur le sol, elle crée encore une sorte de puit, dans lequel elle finit par disparaître. Mi-sorcière, mi-Mary Poppins. Feist ? C’est magique.

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