Critique | Musique

On a assisté au concert de Christine & The Queens à Bruxelles : sombre, déstabilisant, captivant

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Christine & The Queens, plus que jamais immergé dans une recherche artistique, aussi radicale qu'intrigante. © jasa muller
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Concert - Christine & The Queens

Date - 12-09-2023

Salle - Cirque Royal

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Mardi soir, Christine & The Queens était au Cirque Royal pour présenter sur scène son dernier album, Paranoïa, Angels, True Love. Compte-rendu d’un concert aussi déstabilisant que captivant.

L’art donne-t-il les clés pour résoudre le chaos ? Ou se contente-t-il juste d’offrir un échappatoire, une fuite temporaire à la réalité ? Vous avez deux heures. Un petit moins dans le cas de Christine & The Queens, qui, mardi, dans un Cirque royal sold out, a rendu sa copie au bout d’une grosse heure et demie de concert intense.

Il y a un peu moins d’un an, l’artiste français sortait Redcar les adorables étoiles, disque aussi fascinant que tortueux. En juin dernier, il était suivi de Paranoia, Angels, True Love, grand geste opératique tout aussi sinueux. Douloureux même parfois. Pour cause, les deux albums reflètent les turbulences que semble avoir traversées ces dernières années celui qui est né Héloïse Letissier. Un chaos créé par la disparition brutale de sa mère, une rupture amoureuse particulièrement douloureuse, une transition aussi, et pas mal de questionnements existentiels.

Dans les médias, et sur ses réseaux sociaux aussi, cela s’est parfois traduit par des interviews désarçonnantes ou des vidéos lunaires. Sur scène, par des concerts en solo. Des traversées en solitaire, durant lesquels Christine & The Queens semblait se battre en direct aussi bien avec les forces adverses qu’avec ses propres démons – comme on a pu le voir à Rock Werchter, au début de l’été. A la fois ange et martyr, dans un set nourri d’imagerie religieuse.  

Matamore

« Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils ont fait », balance ainsi Christine & The Queens, sur Je te vois enfin. Au Cirque Royal, le morceau est lâché en toute fin de soirée, comme unique rappel d’un concert unique en son genre. Avant cela, le Français a suivi le fil exact de Paranoïa, Love, Angels, dans sa (quasi) intégralité. Souvent plus proche de la célébration shamanique que d’un concert pop. Une messe ? On a pu parfois en avoir l’impression. Sont ainsi dispersés sur scène, un escalier et une chaise d’église, des statues d’anges et de lion. Contrairement au concert de Werchter, le Français n’est cependant plus tout à fait seul. Trois musiciens l’accompagnent – batterie, clavier, guitares. Et la performance, qui n’abandonne pas ses envies de théâtralité, de trouver une nouvelle épaisseur musicale.   

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La première moitié du set est particulièrement sombre. Aussi bien dans les lumières brumeuses que dans le son orageux. Il est loin le temps de la pop hospitalière de Chaleur humaine ou du funk eighties de Damn, dis-moi. Loin aussi le temps des chorés « jacksoniennes », en groupe. Ici, Christine & The Queens mouve solo, tantôt pantin désarticulé, tantôt grimaçant tel le fou du roi « J’ai la fierté des fous ! », assure-t-il. La voix porte, les muscles sont tendus, la poitrine le plus souvent nue, bombée comme celle d’un matamore : le chanteur s’expose. La musique, surtout, étend lentement ses tentacules…

Le salut par le rock

« I miss my mother », commence ainsi Christine & Queens, main gauche gantée de rouge, sur le lancinant Tears Can Be Soft. Petit à petit, le fil se tend. Houleux, les morceaux ruminent leurs états d’âme dans une espèce de r&b glacial ou de new wave torve. Quand l’orage éclate, ce sont les guitares qui rugissent. Les 10 minutes de Track ten, par exemple, se déploient progressivement, jusqu’au coup d’éclat final, tout en électricité. Frissons. Le salut par le rock ? « Rock’n’roll makes you see ! », confirme l’interprète de Saint Claude. C’est le comble !, trouver la rédemption dans ce vieux machin rouillé aux poses virilistes ? Certes. Dans une conversation pop où les thématiques queer sont devenues centrales, mais souvent à travers le même prisme musical (en gros, la palette dance-house-disco), Christine & The Queens a au moins le mérite d’investir un autre champ…

« Ceci n’est pas un concert, c’est un rituel ! », rugit le maître de cérémonie. Et comme tout rituel, il faut y croire un minimum. Au risque de rester à quai. A cet égard, Christine & The Queens évolue souvent sur le fil. Pas toujours clair dans ses intentions, et avec une tendance au discours exalté et poétique, qui joue (volontairement ?) avec la frontière du ridicule.

Rituel magique

C’est sans doute le prix du parti pris. Pour le coup radical. Sur Angels crying in my bed, Christine & The Queens tourne le dos à la salle pour chanter face à une statue représentant un ange. Tandis que la voix de Madonna résonne, on peut y voir une référence à un titre comme Like A Prayer (et sa fameuse vidéo, dans laquelle la queen of pop embrassait et  dansait avec un Jésus noir). Mais aussi une drôle de manœuvre qui prend le risque de couper le lien entre l’artiste et le public.

La magie (…), pourtant, opère. Immodéré, déraisonnable, le chemin emprunté par l’artiste français n’est pas le plus simple. Au Cirque royal, il est même apparu toujours un peu confus, touffu. Mais, davantage encore, captivant et puissant. Avec Redcar et Paranoïa, Angels, True Love, Christine & The Queens a fait le pari de la musique, du théâtre et de l’art pour se sauver. Il n’est peut-être pas loin de le remporter. Libre. Enfin?

  

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