Tempête-fantôme et pluie de stars: le bilan des Ardentes, cuvée 2023

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Malgré l’annulation de la journée de dimanche, l’édition 2023 des Ardentes a confirmé le succès de sa formule rap.

On pourra toujours refaire le match. Fallait-il absolument annuler la dernière journée des Ardentes, suite aux prévisions météo de l’IRM, annonçant orages, vents violents et grêlons ? Ou simplement retarder l’ouverture des portes? Comme a pu le faire par exemple Lasemo (mais avec un bulletin moins alarmiste et une foule moins importante) ? La vérité est que les organisateurs n’ont pas vraiment eu le choix. Avec en tête le souvenir du drame du Pukkelpop (en 2011), mais aussi celui des inondations de 2021, le festival liégeois n’a pu que se résigner.

La pilule est forcément difficile à avaler. D’autant que le chaos annoncé n’a pas vraiment eu lieu. Plus tard, l’IRM a rappelé que, statistiquement, 20 % des « codes oranges » ne se « réalisent » finalement pas. Ne reste plus aux Ardentes qu’à digérer leur frustration. Et réussir à gérer celle de leur public. Notamment en soignant les conditions de remboursement, qui devraient être précisées « dans la semaine ».

Malgré cela, le festival a tout de même des raisons de se réjouir. Durant trois jours, il a confirmé le succès d’une formule rap, que l’édition de l’an dernier avait définitivement actés. Avec des points encore à améliorer. Mais surtout pas mal de satisfactions.

Les plus : l’affiche all-star

Pour tout amateur de rap, l’affiche 2023 des Ardentes a de nouveau ressemblé à la Champion’s League. En décidant de se focaliser sur un créneau précis, le festival liégeois s’est donné les moyens de choper les grosses têtes d’affiche du genre. Francophones d’abord. Mais aussi américaines. Au final, leurs prestations ont pu parfois diviser. Mais nul doute que la venue de Kendrick Lamar, Travis Scott ou encore Playboi Carti ont permis d’installer encore un peu plus les Ardentes comme l’un des festivals rap de référence en Europe.

L’an dernier, on se questionnait parfois sur un événement dont l’essentiel de la programmation est constituée d’artistes qui n’ont pas toujours une grande culture du live (euphémisme). Et d’assister parfois à des journées entières de non-shows, limités à un rappeur seul sur scène, débitant sur des bandes. Or, ce fut beaucoup moins le cas lors de cette cuvée 2023. Même un rappeur comme Kerchak est venu avec des danseurs.…  

Reste malgré tout encore une interrogation. Avec une affiche plantureuse, étalée sur 4 jours, les Ardentes se sont retrouvées à reprogrammer pas mal d’artistes déjà présents en 2022 – de SCH à Hamza. Certes, le vivier rap se renouvelle sans cesse. Mais comment éviter de bégayer les mêmes têtes d’affiche, année après année  ? S’ouvrir davantage aux musique afro et latino est peut-être une solution. Comme l’ont montré les concerts de la superstar colombienne J Balvin ou du Nigérian Rema.   

Le public

Les Ardentes 2023 ont frôlé le sold out (il ne restait plus que quelques places pour le samedi et le jeudi). Et ce, malgré des tickets pas donnés (un pass 4 jours à 247 euros – contre 292 à Werchter, mais 195 euros « seulement » à Dour). Mais le grand succès du festival est surtout d’avoir réussi à nouveau à attirer un public très jeune, et mélangé. Accroché à son smartphone et aux réseaux sociaux, il zappe allègrement entre les différentes scènes. Mais il montre aussi un enthousiasme et un engouement que l’on a parfois du mal à retrouver dans des festivals qui ronronnent davantage.  

Le site

L’an dernier, les Ardentes sortaient non seulement de deux ans de Covid. Elles essuyaient également les plâtres d’un tout nouveau site, entre Ans et Rocourt. Cette année, le festival a eu l’occasion d’y apporter quelques améliorations – notamment en terme d’accueil, de mobilité, d’infrastructure, etc. Cela n’a pas empêché l’un ou l’autre couac – la distribution d’eau, pendant les journées de grosse chaleur. Et on continue de penser que la cohabitation des multiples scènes n’est pas idéale. Difficile de ne pas subir la bouillie sonore au croisement du Wallifornia stadium, et des scènes Big Eye, Da Hood et Konbini… Mais en s’installant sur les hauteurs de Rocourt, les Ardentes semblent avoir trouvé un bon port d’attache pour les prochaines années.  

Les moins: les pièges du festival instagrammable

Sur le côté de la scène, aux premiers rangs ou dans les tribunes VIP : les influenceurs et autres « créateurs de contenu » étaient présents en nombre aux Ardentes. Logique pour un événement qui cherche à toucher son public via les canaux qu’il « consomme » le plus. Il faudrait juste prendre garde de ne pas glisser dans le festival à algorithmes ou instagrammable – à l’instar du braquage réalisé par Ice Spice (14 minutes sur scène) ou du set anecdotique de l’acteur-rappeur Aron, samedi après-midi.   

Une bulle coupée du monde

Quelques jours avant son lancement, certains se sont inquiétés. Après la mort de Nahel, abattu par un policier, et les émeutes qui ont suivi, les Ardentes allaient-elles être annulées par les autorités? Comme ce fut le cas pour d’autres événements en Hexagone? Avant de se rappeler que le festival avait bien lieu en Belgique… Pour autant, on s’attendait quand même à ce que le sujet soit évoqué sur scène. Au final (et alors qu’on croisait des t-shirts « Justice pour Mehdi » dans le public), le silence des rappeurs fut assourdissant. Sauf erreur, seul Dinos a pris la peine de mettre, sobrement, le sujet sur la table, lors de son concert samedi.  

Comme c’est souvent le cas en festival, les Ardentes ont constitué une sorte de bulle, coupée du monde. Un espace de liberté, qui permet de laisser échapper le « grain de folie que l’on ne s’autorise pas habituellement », comme le soulignait Disiz, dès le premier jour. Mais rarement, le contraste entre un événement branché sur l’époque et sa deconnexion avec une certaine réalité n’a paru aussi frappant

Liège sur Seine

Les langues les plus ricaneuses diront que les Ardentes ont davantage fait pour le rapprochement avec la France que tous les rattachistes wallons réunis. Avec une progra, un public, des médias (Konbini, Brut, et autres Booska-P déboulant en force) et même une organisation toujours plus tournés vers l’Hexagone, la blague n’est pas complètement gratuite. Pour autant, les Ardentes restent bien un événement liégeois. Il faudrait juste éviter que l’ambition des organisateurs de mettre en place un festival majeur, ne le coupe trop de son nécessaire ancrage local.  

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