Critique | Musique

Alors, ce nouveau Beyoncé, en mode country, ça dit quoi?

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Album - Cowboy Carter

Artiste - Beyoncé

Genre - Pop

Label - Sony

Critique - L.H.

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après des semaines de teasing, Beyoncé a sorti Cowboy Carter. Un disque-rodéo qui part de la musique country pour mieux scruter les démons racistes de l’Amérique, et exploser les barrières entre les genres. Tout le monde en ligne!

Dans son essai truculent sur Dolly PartonJolene, t’es gouine ?-, publié en 2022, Laurent Chalumeau rappelait cette anecdote : « A la fin des années 70, lors d’une cérémonie de remise des trophées de la Country Music Association, le chanteur Charley Pride, rare country troubadour à peau noire, avait claqué la bise à Dolly en lui remettant sa récompense. Dolly, enchantée, s’y était prêtée de bonne grâce. Des croix furent alors dûment brûlées devant son domicile tandis que des good ol’ boys outrés perturbaient ses concerts en la traîtant de « nigger lover » »

Près de 50 ans plus tard, l’icône country platine est l’une des (nombreuses) voix, présentes sur Cowboy Carter, le 8e album de Beyoncé, le second de la trilogie entamée avec Renaissance. Dans une publication postée récemment sur son Instagram, cette dernière expliquait la genèse du projet :  « Né d’une expérience que j’ai vécue il y a quelques années, où je ne me suis pas sentie la bienvenue… ». C’était en 2016. Lors de la même cérémonie de la CMA, les (Dixie) Chicks reprenaient le Daddy Lessons de, et avec, Beyoncé. Dès le lendemain, sur le Net, les commentaires outragés ne faisaient même pas semblant de masquer leur racisme…

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Beyoncé sur son beau cheval blanc

Aujourd’hui, Beyoncé reprend la main. Après le cheval disco-boule à facettes de Renaissance, elle monte le canasson (blanc) de Cowboy Carter. Et se lance dans un grand rodéo musical, où les guitares hillbillies ont remplacé les beats électronique. Avec, dans la foulée, l’idée de rappeler l’apport des artistes noirs dans un genre souvent réduit à de la musique pour rednecks.

Dès le premier morceau, Ameriican Requiem, elle met les choses au point : “If that ain’t country, tell me, what is it?”. Et de se demander ce que sont devenus “les grands idéaux” américains – « Them big ideas are buried here »…  Elle enchaîne ensuite avec la reprise du Blackbird des Beatles. Une chanson que Paul McCartney avait écrite en 1968, en référence à la lutte des droits civiques, menée par Martin Luther King. Pour l’occasion, Beyoncé est notamment accompagnée de jeune chanteuse country noire, Tanner Adell… Ou comment faire d’une reprise – parfaitement exécutée, mais qui ne bouscule en rien l’originale – un discours en soi.

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Comme c’est d’ailleurs le cas depuis une bonne dizaine d’années maintenant, pour chacun des disques de l’Américaine. Chaque nouvelle sortie est en effet prétexte à conversation. Sur le féminisme, le racisme, les violences policières, etc. Sous ses airs électro-disco-house, Renaissance entendait ainsi remettre en lumière les héros noirs d’une musique dance trop souvent « whitewashée ». Cowboy Carter titille à son tour les limites identitaires d’un genre crispé sur sa blanchitude. Flasque de whisky dans la boite à gants, pistolet à l’arrière, Beyoncé enfile le Stetson pour lancer une square-dance.

Western girl

Le danger ? Que l’exercice se transforme en dissertation. « Je me suis plongée plus profondément dans l’histoire de la country music et étudié notre riche histoire musicale », expliquait -elle encore sur Instagram… Studieuse, Beyoncé a donc fait ses devoirs. Le storytelling parfaitement maîtrisé. Au point de faire disparaître la musique derrière ? Toujours pas, si l’on en croit les charts – le single Texas Hold’Em, premier n°1 d’une femme noire dans les charts country US, et nouveau carton dans les charts pop, aussi bien aux Etats-Unis qu’ici (après Break My Soul, en 2022).

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Les hit-parades ne disent toutefois pas tout. Si Cowboy Carter dépasse le simple bavardage, c’est parce qu’il permet aussi à la star, peu encline à s’épancher, d’en dire un peu plus sur elle. Loin du caprice d’une star multimillionaire, poussant l’audace à mettre la main sur une musique de prolo blanc, l’album est aussi l’un de ses plus personnels. Parce que, née à Houston, Texas, Beyoncé allait, enfant, régulièrement voir des spectacles country. De même, quand elle reprend le fameux classique Jolene, il est difficile de ne pas y avoir une référence à la tromperie supposée de son Jay-Z de mari – « Elle me rappelle quelqu’un que j’ai bien connu… », glisse Dolly Parton en intro (« Reminded me of someone I knew back then »).

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Mélange des genres

Que le « narratif » soit politique ou intime, au bout du compte, sur Cowboy Carter, c’est malgré tout encore la musique qui tient le plus en haleine. Où la country est le fil red(neck). Mais pas l’unique couleur. Le disque convoque aussi bien les Beatles que Chuck Berry (Oh Louisiana), fait à la fois référence aux Beach Boys et à Nancy Sinatra (Ya Ya). Un album où Beyoncé peut tenter un tube soft rock – Bodyguard (oui, comme le film dans lequel Whitney Houston, une Noire, transformait en tube interplanétaire, le I Will Always You de Dolly Parton). Ou se lancer dans un air italien, en clin d’œil au western spaghetti (Daughter). Précisément, en intro du morceau Spaghettii, la légende Linda Martell s’amuse : « Genres are a funny little concept, aren’t they?”. En l’occurrence, le morceau rappelle plus la fronde rap que de la rengaine honky tonk. De leur côté, Riverdance ou Sweet Honey Buckiin’ font le lien avec le dance-floor de Renaissance. En cela, Cowboy Cartner essaie moins d’être un disque country que d’exploser les barrières entre les styles. Et les races.

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Dans sa note d’intention, la chanteuse avait d’ailleurs prévenu : « This ain’t a country album. This is a “Beyoncé” album”. Avec plus de 25 morceaux et près de 80 minutes de musique, on va encore prendre le temps de digérer la somme. Mais de fait, il impose déjà, non seulement sa thématique. Mais aussi ses audaces musicales. Une liberté formelle qui, décidément, ne cesse d’impressionner pour une star de cette stature.

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