A Esperanzah !, Pomme comme à la maison

Pomme © Belga
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

A l’abbaye de Floreffe, Esperanzah ! continue de prouver que l’idée d’un festival engagé n’est pas une chimère. Avant un grosse journée de clôture (Gonzales, La Femme, etc), retour sur la soirée de samedi et le concert de Pomme.

Il y a un peu plus de 20 ans, Esperanzah ! a trouvé la formule magique. Et depuis il a le mérite de s’y tenir. L’équation est connue : réussir à combiner esprits de fête et de combat, engagement artistique et social. Ici, par exemple, même les bars ont troqué les logos habituels pour des slogans – l’un appelant à boycotter Delhaize le temps d’un été, un autre demandant l’abolition des frontières. Le festival n’est pas le seul à tenter le délicat mélange des genres. Mais rares sont ceux qui ont réussi à maintenir à ce point la flamme. Vous pouvez zapper plusieurs étés de suite le chemin de l’abbaye de Floreffe, y remettre les pieds des années plus tard, rien, ou presque, n’aura changé.

Ce qui ne veut pas dire que le festival n’a pas su évoluer. Au niveau de l’affiche notamment. Tout en gardant un goût prononcé pour les sonorités « world », Esperanzah ! a toujours varié les plaisirs. Notamment en piochant dans la chanson. Samedi, par exemple, à côté de Tiken Jah Fakoly, Pomme était l’autre tête d’affiche du jour.

Depuis la sortie de Les failles, en 2019, puis de Consolation, l’an dernier, la Française est parvenue à toucher un public de plus en plus large, réunissant fans de Billie Eilish et de Barbara. En novembre (le 14), Pomme a d’ailleurs prévu une nouvelle halte bruxelloise. Non plus au Botanique ou au Cirque royal. Mais bien à Forest National. Pas mal pour des chansons à la fragilité folk et au ton souvent intimiste. C’est d’ailleurs une des questions : comment les mélodies délicates de Pomme peuvent-elles remplir les grands espaces ? Qu’il s’agisse de Zenith ou, a fortiori, de scène de festival.

Champignons magiques

A Esperanzah !, Pomme part au moins avec deux avantages. Le premier est le lieu. Dans la cour de l’abbaye de Floreffe, la chanteuse et son groupe sont comme dans un cocon, une petite bonbonnière rassurante. « Pourquoi j’ai autant l’impression d’être comme chez moi ? », glisse-t-elle après quelques minutes. L’autre est l’alignement entre l’esprit du festival et les valeurs affirmées de la chanteuse-autrice-compositrice – queer et écolo, par exemple. Elle démarre ainsi son concert avec le sombre Nelly, titre-hommage à l’autrice québécoise Nelly Arcan, dont les écrits tempétueux mettaient à nu les impératifs imposés aux femmes, en termes d’images, de sexualité, etc. Et le termine (quasi) un peu plus d’une heure plus tard, seule, à l’autoharpe, avec On brûlera, dédié à toutes les personnes queer du public, « outées » ou non.

Entre les deux ? Accompagnée de son groupe – basse, guitare batterie, claviers, violon -, Pomme va tenter de faire résonner, devant des milliers de personnes, des chansons qui ont souvent été imaginées pour être quasi susurrées à l’oreille. Elle-même se rend compte de l’ampleur de la tâche. « On est là pour vous chanter des morceaux tristes, mais pas trop », annonce-t-elle d’emblée. Et d’avouer, après avoir interprété Je sais pas danser, être toujours surprise de « voir autant de gens se déplacer pour écouter des chansons aussi intimes et minimalistes ». Alors, Pomme se lance. Au milieu des champignons, dans un décor qui s’inspire autant de Miyazaki que Claude Ponti, elle se balade sur le fil. Légère comme une bulle de savon – celles qui sont soufflées sur les premiers rangs.

La reine des drames

C’est souvent joli. Parfois touchant – La rivière. Mais pas toujours suffisant pour plonger en profondeur dans son univers et emballer le concert. Alors, entre deux chansons, Pomme prend soin de maintenir le contact, en toute décontraction. Elle confie un appareil photo jetable au public, l’enjoint à brandir un doigt d’honneur pour évacuer ses frustrations (« sauf les enfants », sur very bad), lance une chorégraphie maison… Pourtant, ses chansons, souvent, suffisent. Il suffit de les « tordre » un peu pour les faire sortir de leur carapace. Par exemple avec la lumière, « la seule et unique chanson du spectacle où vous allez pouvoir danser, profitez-en ». Ou bien, davantage encore, avec Anxiété. C’est l’occasion pour la « reine des drames » de démarrer seule au clavier, avant de se faire rejoindre par son groupe sur le 2e couplet et de donner une tournure plus rock, à ce qui reste l’un de ses plus gros tubes. A ce moment-là, la chanteuse réussit enfin à rendre pleinement justice à une vision musicale plus complexe que l’imagerie cocoon vers laquelle elle a parfois tendance à glisser. Où se mêle naturalisme folk et artificialité du vocoder, chanson poétique et électricité de la guitare twang.

Sur sa page Instagram, Pomme se présente volontiers comme « mi-humaine, mi-lutin ». De fait, elle hésite. A Esperanzah !, on a surtout eu droit au côté rêveur et ludique. Une manière, comme le suggère le titre de son dernier disque, de consoler les âmes. A défaut de les secouer ?

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