À la veille d’une vingtième édition qui s’annonce électrique, Patrick Wallens, boss de Couleur Café, revient sur le parcours original et world-mondiste du festival bruxellois. Un pari toujours funky, même si Bénabar vient aujourd’hui y pousser la chansonnette…

9 juin 2009, dans les bureaux sans apparats de Couleur Café au sud de Bruxelles, l’atmosphère semble superficiellement calme. Après une dix-neuvième édition 2008 déficitaire – huit mille spectateurs manquants, quelques centaines de milliers d’euro dans le gaz -, les chiffres de préventes 2009 sonnent terriblement ensoleillés.  » Trois fois la norme habituelle », souffle prudemment Patrick Wallens comme si l’annonce d’un succès prémonitoire engendrait le mauvais £il. Wallens? Cinquante piges avec un zeste de juvénilité, jaquette de militant sandiniste, sourire aisé, père de deux ados, donc en prise directe avec cette génération connectée à la discothèque mondiale du web. La vingtième édition sent le carton intégral mais chez CC, on agite les grigris du pessimisme mesuré. Le triomphalisme est d’autant moins le fanion maison que les prévisions festivalières sont, on le sait, communément aléatoires. Couleur Café est toujours une asbl et non pas une société à vocation commerciale comme l’immense majorité des autres festivals belges et étrangers. La notion de profit y est donc essentiellement musicale, même si le contexte de la musique en 2009 reste indéniablement compétitif et monétaire. Joue ou crève, faut résister: démonstration de vingt ans de Music with attitude par Patrick Wallens.

Halles 1990, toute première fois

 » Avec mon asbl Zig-Zag, on organisait des cours de percussions, de danse, on faisait un peu de management de groupes africains. On était encore dans une culture un peu ‘bab. En 1989, j’ai monté Franchement Zoulou, un festival de musique sud-africaine (deux ans avant l’abolition de l’apartheid, ndlr): Couleur Café est parti de cet événement-là et on a proposé aux Halles de Schaerbeek l’idée d’un festival de musiques métisses, afro-cubaines, avec aussi des arts plastiques, une boîte de nuit, de la bouffe, des artisans. On a fait quatre éditions avec les Halles: à la première, on a eu 5 500 personnes, mille de plus l’année suivante… « 

L’Afrique, c’est chic

 » On a débarqué dans une époque qui découvrait la world, le label Real World de Peter Gabriel, le Yéké Yéké de Mory Kanté puis le Didi de Khaled (cf . pages suivantes) . On en était encore à un stade d' »artisanat sérieux », tout se passait au téléphone et par fax, parfois, il fallait faire un véritable travail de détective privé pour débusquer l’artiste. Les dix premières années ont été, grosso modo, ce schéma-là puis, il y eut davantage d’intermédiaires. Clear Channel/Live Nation s’est imposé(1), les artistes ont augmenté les cachets, multiplié les exigences et l’entourage: Diam’s, c’est cinq personnes en scène mais en tout il faut payer et loger dix-huit personnes. »

La couleur de l’argent

 » Papa Wemba, tête d’affiche de la première édition, a demandé 6 000 euros environ, l’année dernière, Zucchero était à 130 000 , le plus gros cachet de notre histoire. Mauvais casting: le chapiteau n’était qu’à moitié plein. Le budget global cette année est de trois millions d’euros, les artistes représentent 750 000 euros – dont 100 000 pour Ben Harper -, c’était 311 000 en 2003. Mais là, avec la crise, les cachets se tassent. On doit à la fois être dans ce business d’argent et suivre notre route humanitaire, socioculturelle, conviviale… Au début, le public venait essentiellement découvrir la world. Ce public existe toujours mais on a élargi à la musique black au sens festif, « engagé ». On ne peut pas éternellement réinviter les mêmes artistes, les Youssou N’Dour, Khaled, Mory Kanté, donc on a ouvert, notamment à la chanson, à Bénabar par exemple, qui à ce côté festif. On a besoin de locomotives. C’est un point sensible: c’est comme en cuisine, faut que la soupe garde le goût typiquement Couleur Café.

Les valeurs Nord-Sud

 » Aux premiers temps aux Halles, on était dans cette lignée d’anti-racisme, de diversité culturelle, de métissage, avec la volonté de représenter un endroit de grande tolérance. Depuis quelques années, on a souhaité avoir un Village de solidarité avec une thématique, et donc d’y mettre des moyens. L’année passée, le thème Clandestino a permis à des associations de s’exprimer sur le scandale des clandestins et des sans-papiers. Cette année, on porte un thème environnemental, la sauvegarde de l’eau, histoire de voir comment on consomme. Comme en musique, on a ouvert l’horizon, notre regard n’est pas uniquement rivé sur le Sud. »

Quitter Tour & Taxis

« Après les Halles (un ancien marché couvert construit en 1865, ndlr) , on voulait découvrir un endroit industriel pour rester dans le même esprit: on a mis trois ans à amener les gens à Tour & Taxis, le lieu pourrissait, un train abandonné gisait au milieu du terrain, c’était le rendez-vous des rats. Aujourd’hui, le quartier a changé parce que l’immobilier a explosé… On sait qu’on y restera sans doute encore en 2010, mais après, à cause des travaux qui y seront entrepris, on devra probablement déménager. On pense au Parc d’Osseghem dont l’Atomium est la porte d’entrée. Ce sera l’occasion de repenser le concept, les objectifs. Tant mieux si c’est radicalement différent. »

(1) le groupe américain SFX (alias Clear Channel désormais rebaptisé Live Nation) a racheté en 2000 les principales affaires de promotion rock en Belgique, dont Rock Werchter.

Entretien Philippe Cornet

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