THE RIOT CLUB S’INSCRIT DANS UNE VEINE RÉSOLUMENT BRITISH DE FILMS SUR UNE SOCIÉTÉ OÙ LE SYSTÈME DE CASTES PERDURE.

Leur sang bleu ne fait qu’un tour. Et les charmants rejetons de l’aristocratie, joyeux fêtards un brin snobs au départ, se transforment en décadents frustrés, imbus d’une supériorité « naturelle » qui leur fait mépriser les classes inférieures au point d’humilier, de frapper, de tuer presque… The Riot Club doit être l’une des plus extrêmes et violentes évocations du système britannique de caste, divisant la société en couches bien définies. Une réalité bien sûr moins radicale et terrifiante qu’à l’époque de Dickens, mais qui n’en reste pas moins présente et visible aujourd’hui. Les jeunes privilégiés de The Riot Club, membres d’un club (1) élitiste de l’Université d’Oxford, portent la nostalgie et la frustration d’un passé où le pouvoir de leurs semblables pouvait s’exercer sans encombre légale ou presque. Lone Scherfig, réalisatrice danoise du film, n’en parle pas moins au présent, elle qu’avait séduite la pièce originale de Laura Wade, Posh, et dont l’appartenance au mouvement Dogma de Lars Von Trier signala très vite l’attrait pour les sujets grinçants, propres à susciter la controverse. « Des clubs comme celui du film existent réellement, explique-t-elle, ils sont exclusivement masculins, impliquent des rituels secrets, un sentiment d’appartenance aigu… et très souvent une consommation excessive d’alcool, et des dérives choquantes comme le fait de soumettre des filles à des humiliations, ou de provoquer les moins nantis en brûlant des billets de banque… » Scherfig n’a pas voulu juger « ces garçons un peu perdus, qui ne savent pas où se situe la frontière entre le bien et le mal« . Mais son film, remarquablement joué par de jeunes comédiens prometteurs, n’en délivre pas moins au spectateur un puissant uppercut, rappelant utilement que « la lutte des classes n’est pas un concept abstrait« , et que « la caste de ceux qui, après Oxford, vont être pour la plupart amenés à occuper les postes de dirigeants politiques ou économiques (perpétuant ce qu’on appelle la « ruling class »), n’est pas la dernière à en faire une réalité« …

Upstairs downstairs

Lone Scherfig parle de « conditionnement quasi militaire« , marquant le sommet d’une pyramide qui commence dès le tout début d’un système scolaire « où dès le jardin d’enfant une bonne partie de votre futur est déjà déterminé! » La cinéaste danoise n’étant pas la première étrangère à s’intéresser au système social très particulier qui est celui du Royaume-Uni. Robert Altman avait déjà, par exemple, abordé le sujet dans son assez épatant Gosford Park de 2001. Une partie de chasse dans une grande propriété des années 30 y tournait à l’enquête criminelle, cette dernière offrant le prétexte rêvé pour pénétrer tout à la fois le petit monde des aristocrates et celui de leurs serviteurs. Les premiers habitant l’étage de la maison et les seconds le sous-sol, avec le rez-de-chaussée comme point d’interaction. Une symbolique de niveaux de vie littérale, évoquant celle d’une très fameuse série télévisée britannique des années 70, Upstairs down-stairs. Diffusé chez nous sous le titre Maîtres et valets, ce feuilleton à grand succès populaire chroniquait de 1903 à 1930 la vie dans une maisonnée de la noblesse où celle-ci occupe le haut du bâtiment (upstairs) et les domestiques le bas (downstairs). La division du logis n’est pas typiquement british -voir les chambres de bonnes sous les toits des beaux quartiers à Paris- mais la structure sociale l’est, par contre, de manière on ne peut plus singulière. En partant du bas vers le haut, vous y trouvez la « lower class » (ou « working class »), la « middle class », la « upper middle class » et enfin, tout au sommet, l’aristocratie. Une certaine mobilité existe dans la partie basse et moyenne. Vous pouvez grimper l’échelle sociale et intégrer une strate plus élevée. Mais vous n’en resterez pas moins, à jamais, marqué voire stigmatisé par vos origines. Ainsi que le confirmait encore tout récemment Timothy Spall, Prix du Meilleur Acteur au Festival de Cannes pour Mr. Turner, en expliquant que tous ses succès, la célébrité et le confort financier qui l’accompagnent, ne l’empêchent pas de voir son accent rappeler qu’il est issu de la « working class », d’un milieu ouvrier. Et les articles qui lui sont consacrés de toujours revenir sur son enfance pauvre dans le sud de Londres, sur le fait qu’il est autodidacte… « La Grande-Bretagne vit toujours avec ce pourtant si encombrant système de classes où la naissance tient une place prépondérante« , dit aussi Mike Leigh, réalisateur de Mr. Turner (film qui aborde le sujet) et cinéaste dont l’oeuvre revient régulièrement sur cette thématique, en y croisant des éléments liés à la sexualité, à l’origine ethnique comme dans le bouleversant Secret And Lies. Combien de fois Leigh n’a-t-il pas mis en scène des personnages aux prises avec des origines modestes qu’ils tentent de laisser derrière eux (le film précité, High Hopes, Career Girls)?

Lignes de rupture

Avant Leigh, un autre remarquable cinéaste, Lindsay Anderson, avait manifesté un énorme intérêt critique pour le sujet. Partageant le constat que le public dans sa grande majorité était « working class » et la plupart des réalisateurs issus de la « middle class », il fut l’un des grands animateurs du free cinemalancé à la fin des années 50 et appelant à se libérer de ses attitudes de classe en donnant surtout plus de visibilité sur l’écran aux couches laborieuses de la population. Son This Sporting Life (1963) marquant un mouvement incarné aussi par le Saturday Night and Sunday Morning de Karel Reisz (1960) et The Loneliness of the Long Distance Runner de Tony Richardson (1962).

Les relations entre classes supérieure et inférieure ont inspiré des films d’une grande subtilité comme The Remains of the Day (James Ivory – 1993), où Anthony Hopkins (majordome) et Emma Thompson (gouvernante) donnent une interprétation magistrale en domestiques d’un Lord soupçonné de sympathies nazies et que joue James Fox, par ailleurs oncle d’un des jeunes acteurs de The Riot Club… Plus remarquable encore et plus grinçant est le classique vénéneux de Joseph Losey The Servant (1963) où le même James Fox incarnait un jeune aristocrate au caractère faible qui engage un domestique (Dirk Bogarde) on ne peut plus efficace mais avec lequel va s’engager un jeu de pouvoir inversant finalement les conventions sociales…

Le cinéma n’a pas manqué non plus d’évoquer ces arrivistes et intrigants de modeste extraction pressés de court-circuiter les barrières du système pour y grimper par tous les moyens possibles, y compris la séduction et le crime, comme le montre génialement Woody Allen dans son premier film anglais Match Point (2005) avec Jonathan Rhys-Meyers. Un film à propos duquel Lone Scherfig aurait pu dire ce qu’elle conclut sur son propre The Riot Club: « L’empathie envers la jeunesse et ses erreurs est naturelle, mais j’espère qu’à la fin, le public n’en éprouvera plus, ayant pu mesurer les conséquences des actes posés… » Une remarque d’ordre moral, dont n’aurait que faire le tout récent Kingsman de Matthew Vaughn, avec son postulat que l’appartenance à la classe supérieure nécessite moins de sang bleu que d’adhésion aux apparences culturelles signalant le privilégié…

(1) IMAGINAIRE MAIS PROCHE DE CLUBS EXISTANTS QUI L’ONT INSPIRÉ.

TEXTE Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content