Cela tient presque de l’euphémisme: de tous les arts, le 9e n’est certainement pas celui qui attire le plus les femmes. Au panthéon de la BD, à côté des Franquin, Hergé, Robert Crumb, Gotlib, Spiegelman, Bill Watterson… combien de filles? A cet égard, la parution en 2000 du premier des quatre tomes de Persepolis, édité par l’Association, est doublement remarquable. Signée Marjane Satrapi, la BD/roman graphique n’est pas seulement l’oeuvre d’une fille dans un monde de mecs. Elle est aussi celle d’une Iranienne, partie d’un pays où la condition féminine s’était vue chamboulée par la révolution islamique. Adoubé par la critique, Persepolis sera l’un des plus gros succès d’édition BD de la décennie. Il sera même transposé au cinéma (obtenant le Prix du jury au festival de Cannes).

Née en 1969, issue d’une famille aristocratique iranienne très libérale, Marjane Satrapi a fait les Beaux-Arts à Téhéran. En dernière année, pour son mémoire, elle imagine un parc d’attractions sur les héros de la mythologie persane. Petit souci: dans sa galerie de portraits, elle dessine beaucoup d’héroïnes à cheval, cheveux dans le vent. Un peu trop loin du religieux et du tchador imposé dans l’espace public… Elle obtient malgré tout sa maîtrise et s’envole alors pour étudier le graphisme à Strasbourg, avant de se lancer finalement dans la BD.

Autobiographique, Persepolis raconte le parcours de son auteure, depuis son enfance jusqu’à son départ pour la France. Par le biais de la petite histoire, c’est la grande qui défile: la chute du Shah, l’installation par Khomeini de la république islamique, la guerre avec l’Irak… Les restrictions aussi, de plus en plus importantes, imposées aux femmes. Le premier chapitre de Persepolis est intitulé Le Foulard. Marjane a dix ans quand il est imposé à toutes les filles -« Nous n’aimions pas beaucoup porter le foulard, surtout qu’on ne savait pas pourquoi. »

Influencé par David B., son dessin fonctionne par à-plats noir/blanc tranchés. Moins pour clicher les enjeux que pour rendre au contraire son propos plus universel. En passant par l’intime pour évoquer le politique, Satrapi touche non seulement plus facilement, mais elle se donne aussi la possibilité de glisser toutes les nuances nécessaires. Persepolis ne s’en prive pas. En quatre tomes, la série développe une vision de la femme iranienne beaucoup plus complexe que celle charriée généralement par les médias occidentaux. La critique BD Laura Sneddon écrit notamment: « Son portrait des femmes autour d’elle permet de casser le stéréotype des Iraniennes vues comme un bloc monolithique, passif face à l’oppression. » Exemple: ado, Satrapi part étudier en internat à Vienne, y découvre la liberté, les fêtes, l’alcool, mais décide tout de même de rentrer à Téhéran, malgré l’ambiance étouffante qui y règne.

Mouvement longtemps « blanc » et « eurocentré », le féminisme a appris à s’ouvrir aux autres réalités à partir des années 80. Persepolis amène ses propres nuances au tableau. Farouchement individualiste, Satrapi évitera d’ailleurs toujours de se laisser enfermer dans la « case » féministe. Lors des débats sur le voile en France, elle en étonnera beaucoup en refusant de se prononcer pour l’interdiction. Peu importe le choix finalement, du moment que ce soit le sien…

L.H.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content