Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

LES ANGLAIS PRÉCIEUX BLUFFENT DAVANTAGE PAR LEUR MISE EN SCÈNE SONORE QUE PAR LA MATHÉMATIQUE DE LEURS CHANSONS. MÊME SI ON FINIT PAR AIMER.

Suede

Double CD/DVD « Night Thoughts »

DISTRIBUÉ PAR WARNER.

7

En une décennie discographique (1993-2002), Suede a incarné les bacchanales stylisées d’une jeunesse fouettant l’excès comme si demain n’était que pure fiction. Soit deux albums carnivores (Suede, Dog Man Star) et une poignée de titres au grandiose assumé (Metal Mickey, Animal Nitrate, So Young, Beautiful Ones). Le groupe soignera les visuels jusqu’à l’overdose de maniérisme avant que chaos, ego et héroïne ne finissent la saga (épuisée) à l’automne 2003 après cinq CD. Le leader Brett Anderson en profite alors pour sortir, sans grand impact commercial, quatre disques solos et The Tears, projet discographique vite avorté avec l’ex-guitariste de la bande, Bernard Butler. Une décennie a filé depuis la séparation et Suede s’est réuni via des concerts dès le printemps 2010, l’album de retour, Bloodsports, étant favorablement accueilli trois ans plus tard. Voilà pour les faits.

Sympho-cabaret freudien

Les Pensées de nuit prennent possession d’un territoire nouveau, celui d’une génération en âge de paternité. Anderson a 48 piges et se trouve géniteur d’un gamin de trois ans et beau-papa d’un autre de onze. Le mérite supérieur du disque est d’éviter l’hédonisme abrasif des jeunes années, laissant le clinquant aux intros bombastiques. Elles sont partiellement inspirées des sensations nocturnes du In The Wee Small Hours de Sinatra, poussières de Las Vegas fifties ici téléportées vers le Londres contemporain: c’est beau et orchestral comme un baiser sous la pluie tiède. Il faut scruter les textes d’Anderson pour accepter le format de Night Thoughts, le passage de la chanson jouissive au conte (quasi) moral, de la saillie teenager au sympho-cabaret freudien. Traversé de craintes comme si être père engendrait forcément la terreur: Anderson paraît démuni devant la réalité biologique (What I’m Trying To Tell You) ou face à la dépression dont souffrait son propre pater (No Tomorrow).L’éblouissement musical s’installe, ou pas, plutôt à la seconde écoute, propulsé par le Niagara décomplexé du son qui dégoûtera les plus sobres et questionnera les autres. Le DVD compagnon du disque audio, un film d’une cinquantaine de minutes, est signé du photographe Roger Sargent: ce trop long clip, histoire d’un couple logiquement anéanti par la noyade de son jeune fils, illustre la narration musicale sans jamais vraiment la transcender. Ou ajouter un motif essentiel au labeur sonore, on l’a compris, plus chaviré que les strictes mélodies.

EN CONCERT LE 6 FÉVRIER À L’ANCIENNE BELGIQUE.

PHILIPPE CORNET

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