RYAN GOSLING, LA STAR DE DRIVE, PASSE DERRIÈRE LA CAMÉRA POUR LOST RIVER, UN CURIEUX FILM SOUS INFLUENCES HANTANT LES POUSSIÈRES DU RÊVE AMÉRICAIN DANS LES DÉCOMBRES DE MOTOR CITY…

Il règne, en cette soirée du 20 mai, une ambiance survoltée dans la salle Debussy. Comme le veut la tradition, l’équipe de Lost River accompagne la projection officielle du film, présenté en section Un Certain Regard, et les travées sont garnies de fans n’ayant d’yeux que pour Ryan Gosling, acteur propulsé idole par la grâce de Drive, découvert ici même, à Cannes, en 2011. Les circonstances sont cette fois différentes: si la star canadienne est de retour sur la Croisette, c’est pour y présenter son premier long métrage comme réalisateur, dans lequel il s’est gardé de jouer –« cela n’a jamais constitué une option », assure-t-il. Un film qu’il porte depuis un long moment déjà, et qui arpente un imaginaire passablement heurté; on est plus près, en tout état de cause, de Only God Forgives, trip allumé de son pote Nicolas Winding Refn, que de l’ambiance cool de Crazy, Stupid, Love, le titre qui avait enfoncé le clou de la « Gosling mania ».

Une errance américaine

A l’origine de Lost River, du nom de la ville fictive qui lui sert de cadre, on trouve… The Ides of March, le film de George Clooney dont le tournage s’était posé à Detroit. « Je n’y suis resté que quelques jours, mais j’ai été fort touché par la ville, se souvient Gosling, que l’on rencontre au lendemain de la Première, sur une terrasse surplombant la rumeur cannoise. C’est un endroit qui a le don d’inspirer, parce qu’il véhicule en même temps son histoire inouïe, son futur inconnu et une sorte d’espoir au présent. Detroit est une ville extrêmement variée, où cohabitent la destruction, mais aussi une architecture incroyable, avec des possibilités infinies. Et puis, on ressent également ce qui ne s’y trouve pas, ce qui manque ou a été perdu. L’imagination travaille sans qu’on doive la stimuler. C’est d’ailleurs là que résidait le principal défi à mes yeux: comment filmer quelque chose qui n’est pas là? »

A l’écran, cette ambition se traduit en une errance incertaine, sondant, sur les traces d’une mère -Christina Hendricks, l’actrice de Mad Men– entraînée dans un monde menaçant, ce qui ressemble aux poussières du rêve américain. Et autre chose encore, la chair du film tenant dans une matière onirique fuyante, lui donnant des allures de conte de fées décalé qui évoluerait sur une ligne ténue entre rêve brisé et cauchemar éveillé. Manière aussi d’accéder à quelque dimension surréaliste. « Il n’y a rien de plus surréel que la vie elle-même, observe le réalisateur. Nous n’avons rien fait d’autre que tenter de capturer l’existence dans ces aspects singuliers », la réalité locale offrant, il est vrai, une matrice de premier ordre.A quoi Gosling aura ajouté quelques pièces rapportées de son cru -ainsi, par exemple, du spectacle macabre où évolue Eva Mendes (bientôt rejointe par Miss Hendricks, au coeur d’une inoubliable scène de mutation), et lointainement inspiré du Grand-Guignol.

The Belgian Connection

Pour donner corps à une vision toute personnelle, encore qu’y dansent les ombres, plus ou moins furtives, des Refn, Lynch et autre Cronenberg, Ryan Gosling a fait appel au chef-opérateur belge Benoit Debie, collaborateur régulier de Gaspar Noé, dont il vient encore de signer la photographie de Love, un des titres pressentis pour la prochaine compétition cannoise. « Il y a des années que je voulais travailler avec Ben, c’est simplement le meilleur. Je trouve son travail magnifique, il me fait penser à un peintre. Il n’a pas besoin d’un sac à malices et n’utilise pas de lumières de cinéma, car il sait apprécier ce qu’il y a de beau dans ce qu’il trouve là, et tenter de capturer cette beauté, sans artifices. » Mais avec cette personnalité qui transforme chacun des films auxquels il collabore en une expérience visuelle sans équivalent, Lost River ne faisant nullement exception à la règle.

Pour donner du crédit à l’idée d’une Belgian Connection, le réalisateur s’est encore adjoint, sur le tard, les services du monteur Nico Leunen, dont le travail avait été apprécié sur The Broken Circle Breakdown notamment. « Nico n’était pas censé s’occuper du montage mais, pour m’en tenir à la version courte de l’histoire, il avait aidé un de mes amis sur son film, et je savais qu’il allait débarquer à L.A. pour entamer un trip à moto à travers les Etats-Unis programmé de longue date. Je l’ai invité à venir voir mon film pour me donner quelques idées, et alors qu’il devait entamer son voyage, il est resté enfermé six jours dans ma cave. Je crains qu’il en soit encore un peu contrarié, mais c’est un monteur incroyablement intuitif. Il n’est jamais à la recherche du style au seul bénéfice du style, tout vient toujours des personnages et des émotions. Sa méthode est finalement assez proche de celle de Benoit. » Leurs démarches se fondent d’ailleurs dans un film tenant du trip organique, un objet éminemment singulier, au sujet duquel Gosling ne manque pas d’évoquer « une expérience unique ».

De là à y voir une nouvelle orientation pour sa carrière, il y a toutefois encore un pas: « Rien ne me motive plus que de collaborer avec des gens qui soient aussi passionnés que moi: c’est ainsi que l’on peut espérer de grandes choses. Et si cela suppose plutôt de jouer d’autres rôles, cela me convient. Une chose qui m’a plu, dans le processus de réalisation, tient au laps de temps consacré à un projet. J’ai passé trois ans sur ce film, et il s’agit d’une vraie relation: si des problèmes se posent, vous ne pouvez vous en laver les mains, vous devez vous en occuper. Cela ressemble à un match de lutte, sans les pauses. Le métier de comédien est difficile également, mais cela ne dure jamais que six mois. S’impliquer dans un projet pendant trois ans est quelque chose de fort différent. » Avant d’y repiquer, Ryan Gosling va, du reste, repasser devant la caméra, lui que l’on annonce dans The Nice Guys, un thriller de Shane Black, l’auteur de Kiss Kiss Bang Bang, avant The Big Short, d’Adam McKay, où il aura pour partenaires Brad Pitt et Christian Bale; on a déjà connu pire distribution…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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