Crise du disque aidant, les artistes repartent sur les routes. Et en ramènent toujours plus d’images. Une tradition et une tendance qui s’amplifie. Double exemple avec U2 et les Rolling Stones..

L’un est prévu pour le mois d’avril, l’autre pour le mois de mai. D’un côté, U2 et son film en trois dimensions. De l’autre, Shine A Light, soit les Rolling Stones filmés par Martin Scorsese. Signe de l’importance accordée à ces sorties: elles ont toutes les deux bénéficié d’une avant-première lors de prestigieux festivals de films « classiques ». L’an dernier, U2 a grimpé les marches de Cannes, tandis qu’en février, les Stones ont ouvert la dernière Berlinale. Rien de moins.

Plus étonnant encore: les deux films se limitent à reproduire les expériences live des deux groupes. Pas de documentaire fouillé, ni de trame narrative audacieuse. Juste des musiciens débitant leurs titres phares, lors de leur dernière méga-tournée mondiale.

Dans le cas de U2, on a quand même voulu y mettre les formes. Au sens le plus littéral du terme puisque le film est proposé en 3D. Un exploit technologique cohérent avec l’état d’esprit de la bande à Bono, jamais avare de nouveaux gadgets. Par ailleurs, il fallait également un groupe de stade pour profiter au maximum des effets optiques permis par la 3D. A ce niveau-là, U2 n’a plus grand-chose à prouver. Le film a été tourné en Amérique du Sud lors du dernier Vertigo Tour, en 2006. Afin de ne pas trop perturber le public avec la multitude de caméras, le tournage a été étalé sur sept concerts: l’un se focalisant sur la foule, l’autre sur Bono, le troisième sur Larry Mullen… Le groupe a même rejoué une série de poses uniquement pour la caméra, sans public. Une petite tricherie apparemment nécessaire pour parfaire l’illusion.

Les Rolling Stones ont eux joué une autre carte, en faisant appel à un « auteur »: Martin Scorsese. Le réalisateur de Taxi Driver, Raging Bull, Gangs of New York… s’était déjà penché sur Bob Dylan dans No Direction Home. Avec Shine A Light, il filme un de ses groupes fétiches, présents dès son premier chef-d’£uvre, le classique Mean Streets, dont la BO reprend notamment Jumpin’ Jack Flash et Tell Me. Scorsese a donc capté les glorieux sexagénaires en 2006, sur la tournée A Bigger Bang, lors d’un double concert au Beacon Theater. Une salle historique de New York, mais un club à l’échelle des Stones puisque l’endroit ne dépasse pas les 3 000 places. Dix-huit caméras ont filmé l’événement. Un set s’ouvrant par le déjà cité Jumpin’ Jack Flash et se clôturant par le triptyque Start Me Up, Brown Sugar et Satisfaction.

TICS ET CHEFS-D’OEUVRE

Un concert classique finalement pour les pierres qui roulent. Le film ne nourrit d’ailleurs pas d’autre ambition: parsemé de quelques images d’archives et de l’une ou l’autre séquence en coulisses, il se concentre sur la captation de concert. Rien de plus. Les Stones ont pourtant déjà été maintes fois « mis en boîte ». Dans le dernier numéro du magazine Mojo, Keith Richards expliquait d’ailleurs: « La première fois que le groupe m’a parlé de tourner un nouveau film avec les Stones sur scène, je me suis dit: oubliez ça! Combien n’en a-t-on pas déjà fait?  » Jusqu’à ce que le nom de Scorsese arrive sur la table… N’empêche: les films live qui s’annoncent viennent s’ajouter à une liste déjà longue, aussi bien pour les Stones que pour U2. Qui plus est, les deux groupes proposent le souvenir de tournées qui, précisément, ne resteront pas forcément dans les mémoires. Efficaces, redoutables même par moment, mais pas déterminantes. U2 en a laissé plus d’un sceptique lors de l’étape bruxelloise du Vertigo Tour, et les Stones ont assuré le service minimum sur la plaine de Werchter.

Pourquoi alors s’acharner à sortir des images de chaque tournée? On l’a bien compris: il y a la caution de l’auteur de cinéma d’un côté, la modernité de la technologie 3D de l’autre. Mais encore? Question de tradition, mais aussi de tendance, serait-on tenté d’expliquer. Une tradition d’abord. Le rock a toujours joué avec l’image. Cela fait partie de son identité. Ce n’est pas un hasard si, en même temps qu’il braillait ses premiers riffs, la télévision s’invitait dans toutes les maisons. Autre donnée: le rock a toujours privilégié les valeurs d’authenticité et de spontanéité. Soit celles mises particulièrement en valeur par le live. C’est ainsi que, rapidement, on en arrive à filmer le rock. En 1968, le chef de file de la Nouvelle Vague, Jean-Luc Godard, penche sa caméra sur les Stones, déjà. D’autres ne sont pas encore connus, mais le deviendront bientôt: Scorsese est assistant sur le festival de Woodstock, réalisera The Last Waltz, ultime concert de The Band, tandis que Jonathan Demme enregistre les Talking Heads… Le film de concert devient ainsi un genre en soi, avec ses chefs-d’£uvre, ses tics, voire ses clichés.

Il est aussi devenu une tendance. Le CD se vend moins. Il faut trouver d’autres moyens d’écouler de la musique. D’un autre côté, les salles sont pleines, le public se rend en masse voir les musiciens en concert. Les filmer peut certes coûter cher, mais on n’est pas obligé de faire appel à un grand réalisateur ou de mobiliser une trentaine de caméras à chaque fois. Et puis, le téléchargement d’£uvres filmées reste relativement plus lourd que celui nécessaire pour copier de la musique. Surtout s’il s’agit de préserver une qualité suffisante. Car c’est bien là l’attrait de la captation live, telle qu’elle est surtout envisagée aujourd’hui: reproduire au plus près possible l’expérience du concert. Or, pour avoir un résultat satisfaisant, il faut que l’image et le son suivent. En cela, U2 a évidemment tout compris. Les Irlandais ont pris une longueur d’avance en utilisant la 3D. Avec des avantages insoupçonnés pour le fan: le prix du ticket redevient abordable, il ne se trouve pas coincé à 100 m de la scène, et cerise sur le gâteau, plus question de passer des moments interminables dans les embouteillages pour quitter le site du concert…

texte LAURENT HOEBRECHTS

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