DANS LA TOURMENTE D’UN CINÉMA IRANIEN RÉPRIMÉ, CRIMINALISÉ, LE SUBLIME UNE SÉPARATION D’ASGHAR FARHADI BRILLE COMME UNE LUMIÈRE DANS L’OBSCURITÉ.

Certes, il n’admettra jamais avoir fait un film directement politique. Certes, Une séparation a été autorisé à sortir sur les écrans iraniens, alors même que des réalisateurs comme Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof se voyaient privés du droit de tourner, et même de leur liberté tout court. Mais Asghar Farhadi ne s’est pas privé d’afficher sa solidarité avec ses confrères embastillés. Et si son chef-d’£uvre, Ours d’or mérité au Festival de Berlin, n’a rien d’un film militant, le constat qu’il pose sur la société iranienne est d’une noirceur critique absolue. Le scénario évoque la séparation d’un couple, mais c’est aussi, au bout du compte, deux Iran qui s’y opposent sans réel espoir de réconciliation: celui d’une classe moyenne éduquée, démocrate, s’inscrivant dans la modernité, et celui d’une classe populaire ignorante, soumise au poids d’une religion totalitaire et d’une tradition rétrograde. Une séparation n’en évite pas moins tout manichéisme pour lui préférer une approche humaniste où chacun exprime sa vérité. Même si certains cherchent la leur, parfois maladroitement, tandis que d’autres épousent celle d’une loi divine appelée, Islam oblige, à s’imposer à tous sans la moindre discussion…

De l’intime au sociétal

 » Quand j’écris un film, j’ai toujours le souci de l’ouvrir à une multiplicité de regards, de proposer une histoire que chaque spectateur puisse aborder avec son point de vue personnel sur les choses, explique le cinéaste. Je ne veux exclure personne. Et même si je nourris mes films de mes propres préoccupations, même si j’ai bien sûr mon propre point de vue, fruit de ma réflexion et de mon expérience de vie, je ne l’impose aucunement. Mon rôle n’est pas de donner des réponses mais bien de soulever des questions. Si les spectateurs continuent à se poser ces questions après avoir vu mon film, et y cherchent leurs propres réponses, je pourrai dire que j’ai réussi…  » Asghar Farhadi est habité par le même souci réaliste qui anime nombre de ses collègues iraniens, Jafar Panahi en tête, mais aussi la nouvelle génération qui filme à la sauvage, comme Sepideh Farsi dont le Téhéran sans autorisation a été tourné avec… un téléphone portable.  » C’est le sens du détail juste qui conduit à l’universalité, commente l’auteur d’ A propos d’Elly, et c’est le fait de se concentrer sur l’intime avec le plus de réalité possible qui permet d’y faire apercevoir un reflet de la société.  »

C’est ainsi que l’histoire racontée par le film ( lire la critique page 32), celle d’un couple de la bourgeoisie de Téhéran se dirigeant vers une séparation douloureuse, et qu’un incident domestique va opposer à un autre couple d’origine modeste avec des conséquences potentiellement destructrices, offre finalement à voir le divorce de 2 blocs de la société iranienne, celui qui a conduit au pouvoir le théocrate obscurantiste et négationniste Ahmadinejad et celui dont les enfants étudiants se font brutalement réprimer par le régime quand ils osent le contester dans la rue… La fille adolescente du premier couple se retrouvant logiquement au centre du débat.  » Va-t-elle émigrer, comme le souhaite sa mère, ou rester, comme le prône son père? L’histoire du film se poursuit bien après le dernier plan, et c’est à elle, à sa génération, spécialement dans sa dimension féminine, qu’il appartiendra de décider ce que sera cette histoire« , déclare Farhadi, qui ajoute avec force:  » Dès le départ, il n’y avait aucun doute pour moi sur le fait que l’enfant de Nader et Simin devait être une fille. Seules les filles d’aujourd’hui, les femmes de demain, peuvent réussir à rendre le monde meilleur.  »

 » Je pars du principe que mon public est intelligent, et que je ne dois pas lui indiquer ce qu’il doit penser, reprend le cinéaste. Je lui laisse donc une part du travail, en ne montrant pas tout, en ne disant pas tout.  » Une approche louable et artistiquement justifiée. Une manière qui permet peut-être, aussi, de ne pas encourir les foudres d’une censure  » représentée par 2 comités: celui qui examine votre script et vous donne ou non l’autorisation de tourner, puis un autre auquel vous devez soumettre le film terminé, et qui autorise ou pas sa diffusion« .  » Nous avons appris comment passer à travers les mailles du premier, sourit Asghar Farhadi, quant au second, il n’est pas toujours facile de comprendre pourquoi il interdit un film plutôt qu’un autre!« Bien des £uvres pourtant moins critiques (sur la religion, notamment) qu’ Une séparation en ont fait la triste expérience… l

RENCONTRE LOUIS DANVERS, À BERLIN, ILLUSTRATION DOCTOR H.

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