Le trop discret Mark Rylance

Mark Rylance, cannibal en costume de Joseph Beuys. © Yannis Drakoulidis

Mark Rylance avait déjà un long parcours sur les scènes les plus prestigieuses lorsque le public cinéphile le découvrit, au début des années 2000, partageant avec Kerry Fox l’Intimité de Patrice Chéreau, Ours d’or à Berlin en 2001. The Other Boleyn Girl de Justin Chadwick, Anonymous de Roland Emmerich ou The Gunman de Pierre Morel baliseront ensuite son parcours, avant que Steven Spielberg ne lui propose le rôle de Rudolf Abel dans Bridge of Spies, un Oscar du meilleur second rôle à la clé. Ainsi qu’une carrière à l’écran définitivement mise sur les rails, avec des rôles chez Spielberg encore (The BFG, Ready Player One), Christopher Nolan (Dunkirk), Aaron Sorkin (The Trial of the Chicago 7) ou Adam McKay (Don’t Look Up).

Le comédien sexagénaire est aujourd’hui à l’affiche de Bones and All, où il trouve peut-être l’un de ses emplois les plus saisissants sous les traits de Sully, cannibale au long cours balayant la campagne américaine en arborant un look insolite -chapeau à plume sur queue de cheval tressée et veste bardée de badges… “Les plumes et les badges viennent de moi. La veste avec toutes ses poches, Luca Guadagnino et Giulia Piersanti, la responsable des costumes, l’ont empruntée à l’artiste allemand Joseph Beuys, explique-t-il d’une voix douce. Nous avons eu des discussions à ce propos, parce qu’il me semblait que débarquer dans une petite ville du Midwest en ressemblant à Joseph Beuys n’était peut-être pas un gage de discrétion. On s’est donc demandé s’il ne faudrait pas qu’il ait un look plus anonyme. Mais une fois que je me suis fait à l’idée, je l’ai plutôt envisagé comme une sorte de sorcier masculin dans un conte des frères Grimm, et j’ai vu le film comme une incursion dans le champ du conte et du mythe, où le cannibalisme pourrait être la métaphore de ce que certaines personnes font à d’autres psychologiquement ou émotionnellement. Il m’a semblé amusant d’imaginer qu’il avait survécu en faisant de sa souffrance un projet artistique à travers son look…” Un masque d’imperturbable tranquillité posé par-dessus achevant de rendre son personnage étrangement inquiétant.

À la demande de Luca Guadagnino, Mark Rylance a aussi conféré à Sully un accent géorgien -“Il m’a demandé de sonner un peu comme Jimmy Carter. Et j’ai beaucoup écouté James Dickey, le poète qui a écrit Delivrance, et qui parlait un très beau dialecte du sud de la Géorgie”. Un travail d’orfèvre, comme à son habitude. Considéré comme l’un des plus grands acteurs shakespeariens de sa génération, Rylance se délecte à l’évidence, dans un de ces seconds rôles comme il semble les affectionner au cinéma: “Bien sûr, c’est gratifiant de jouer les premiers rôles, mais ça amène plus de responsabilités et de longues heures de travail. Au cinéma, je suis plus heureux quand je ne suis pas trop impliqué. Une fois que vous avez accepté un film dont vous considérez qu’il aura une contribution positive à ce qui a cours dans la société, vous devez accepter que ça reste le médium d’un réalisateur, sans trop vous attacher à quoi que ce soit. Ce qui est plus facile à faire pour un second rôle: quand vous avez un premier rôle, vous vous impliquez au point de vouloir parfois infléchir le film, l’angle de l’histoire ou les personnages, et ça peut se révéler douloureux, parce que ce n’est pas de votre ressort. Aller et venir, et pouvoir jouer un rôle passionnant comme celui-ci me semble donc beaucoup plus intéressant.” Philosophie expliquant sa trop grande discrétion à l’écran, mais qui devrait prochainement être mise à l’épreuve de The Way of the Wind, le prochain film de Terrence Malick, où il interprétera rien moins que… Satan.

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