Avec Life During Wartime, Todd Solondz retrouve les personnages de son formidable Happiness, auscultant les dysfonctionnements d’une famille américaine et du monde alentour sur un mode acide et jubilatoire.

Happiness is a warm gun« , chantaient en leur temps les Beatles. Précepte adopté à l’évidence par un Todd Solondz qui, en 1998, signait avec Happiness un film ne faisant pas de quartier, incisant au c£ur même des névroses d’une famille américaine, les Jordan, et des dysfonctionnements de la société alentour, qu’il abordait frontalement, effets éminemment perturbateurs à la clé. Les Jordan, on les retrouve aujourd’hui avec… bonheur, certes, mais quelque peu surpris également: Todd Solondz réalisant un « sequel », c’est un peu comme si Charlotte Gainsbourg se mettait au death metal. Inquiétude vite dissipée, toutefois: s’il s’agit bien d’une variation sur un même thème, Life During Wartime ( lire notre critique en page 31) a ajouté au cocktail explosif de Happiness les effets diffus du 11 septembre sur la psyché américaine. Sans oublier l’inclination de Solondz à prendre les attentes du spectateur à rebours -ainsi, précédemment, des constructions pour le moins audacieuses de Storytelling et Palindromes.

« J’aime tordre les choses », avance-t-il d’ailleurs tel un leitmotiv, lorsqu’on le retrouve à la Mostra de Venise, look de geek et voix nasillarde. Ce principe, il l’a donc appliqué à son nouveau film: « Dix ans se sont passés entre Happiness et Life During Wartime, mais je ne m’en suis pas tenu au strict respect de la temporalité. Certains personnages ont vieilli de 5 ans, d’autres de 20, des histoires ont été modifiées. » Et pour qu’il n’y ait pas le moindre doute quant à ses intentions, Solondz a aussi veillé à modifier la distribution: exit, les Philip Seymour Hoffman, Jane Adams et autre Lara Flynn Boyle; place aux Michael Kenneth Williams, Shirley Henderson et Ally Sheedy, quelques-uns des fleurons d’un casting où l’on retrouve encore Charlotte Rampling ou Paul Reubens: « Je trouvais plus drôle et plus intéressant de recourir à des acteurs différents. Quand je me suis attelé à l’écriture du scénario, je voulais me libérer de diverses contraintes, du fait qu’untel devrait ressembler à ceci, ou cela. En procédant comme je l’ai fait, j’avais le sentiment de travailler sur quelque chose de différent, de plus frais et de vivant. A quoi s’ajoute une considération logistique: s’il avait fallu réunir à nouveau tous les acteurs de Happiness , ce film ne se serait jamais tourné. »

En plein cauchemar

Comme Happiness, Life During Wartime opère au c£ur de la classe moyenne de l’Amérique suburbaine. Mais si les névroses, sexuelles et autres, y sont sensiblement les mêmes, le ton, sans être moins aiguisé pour autant, a subtilement évolué, en écho, sans doute, à un environnement mouvant: « Nul ne prétendra que le 11 septembre n’a pas changé la couleur des choses, et le film en est le reflet, poursuit Solondz. Quand j’ai tournéHappiness , le sujet était sans doute choquant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui -les médias sont remplis d’histoires de ce type. Récemment, j’ai été me balader dans un parc, près de chez moi. Et j’y ai vu un panneau stipulant: interdit aux adultes non accompagnés par un mineur. On ne rencontrait pas ce genre de choses quand j’étais enfant, ni même il y a 10 ans. Nous avons été modelés par les effets artificiels de l’hystérie qui s’est installée, et par la façon dont l’Amérique s’est ensuite engagée dans le monde. »

Au-delà de ce constat, le film décline un motif quelque peu inattendu, celui du pardon, et de ses limites. « En cours d’écriture, il m’est apparu que c’était le ciment qui reliait ces personnages désespérés -c’est venu comme cela. Ecrire n’est pas un processus intellectuel, mais bien créatif. Tout mon travail de réalisation tourne autour de cela: découvrir pourquoi je fais certaines choses, et leur signification. C’est un processus sans fin et c’est ce qui en préserve l’intérêt. » Un cadre mouvant qui voit poindre également ce qui, dans le chef de Todd Solondz, ressemble à une empathie inédite pour ses personnages. « Je ne peux pas avoir d’avis objectif sur cette question. J’ai toujours éprouvé de l’empathie, pour tous mes personnages. Les troubles qu’ils vivent, leurs luttes, les rendent irrésistibles à mes yeux. Peut-être cela tient-il à la façon, plus ou moins oblique, dont j’utilise mon ironie, mais si je n’avais pas d’empathie pour mes personnages, faire un film reviendrait à me plonger en plein cauchemar. » En plus de nous faire partager celui, éveillé, de l’Amérique… l

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Venise

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