Où et quand boucler la boucle d’un fabuleux périple ayant, sur plus de 40 ans, dérivé jusqu’aux confins du cosmos, entre présent, passé et futur? Réponse dans l’ultime album des aventures de Valérian et Laureline, indémodable tandem d’agents spatio-temporels.

On imagine difficilement amitié plus complice que celle-là. Il faut dire que le lien ne date pas d’hier. Pierre Christin et Jean-Claude Mézières, alors tout jeunes gamins, se rencontraient en effet en pleine guerre, dans une cave parisienne que leurs familles respectives avaient gagné lors d’une alerte aérienne. Avant de poser de concert, dès la fin des années 60, les bases de ce qui allait devenir l’une des sagas majeures de l’histoire du 9e art.

Autant dire que les deux hommes s’expriment quasiment d’une seule voix quand on les retrouve dans une brasserie du Sablon, à Bruxelles, pour évoquer en leur compagnie L’Ouvre Temps, nouvelle et ultime aventure de leur fameux duo d’agents spatio-temporels, Valérian et Laureline. Epilogue d’une série riche en £uvres maîtresses (1) qui aura vu ses auteurs – Christin au scénario, Mézières au dessin -, et leurs lecteurs avec eux, s’immerger plus de 40 années durant dans un imaginaire foisonnant, vertigineux. Et faire preuve d’une sidérante inventivité graphique dans la création de mondes nouveaux.

En effet, si aujourd’hui l’esthétique SF est omniprésente dans les médias culturels à dimension visuelle (cinéma, BD, pub, peinture…), dans les années 60 c’était une autre affaire.  » On a toujours cherché à créer des images peu communes, nouvelles. » Au point de s’imposer comme de véritables références, quasi matricielles, séminales, marquant un tournant sans aucun doute décisif dans la représentation en science-fiction.  » Regardez le dernier film de ce crétin de James Cameron, ce sont toujours les mêmes forêts tropicales, les mêmes décors déjà vus 100 fois! »

La tête dans les étoiles, la série n’en a pas moins jamais cessé de renvoyer aux réalités de son temps. Christin considérant notamment la science-fiction comme  » un moyen formidable pour « surchauffer » le réel« . S’éloigner du réel pour mieux le raconter? En quelque sorte. Et Valérian, ce grand voyageur, d’accoster incidemment les rivages de grands sujets de société: écologie politique ( Bienvenue sur Alflolol, 1972), guerre des sexes ( Le Pays sans étoile, 1972), auto-détermination des peuples ( L’Ambassadeur des ombres, 1975), etc. Tout en faisant équipe, dès sa première aventure ( Les Mauvais Rêves, 1967), avec un personnage féminin – Laureline, fantasme de papier pour des générations de lecteurs – au caractère peu commun pour le courant dominant de la bande dessinée d’alors.  » La BD populaire était fondamentalement masculine, se souvient Pierre Christin. Avec un humour de corps de garde à la Jean-Michel Charlier (2) (rires) . On a très vite pris conscience que Laureline nous permettait d’introduire un humour, une ironie, autres. Je la faisais parler comme toutes ces femmes, dignes, volontaires, intelligentes, qui, moi, me séduisaient dans la vraie vie. Dans les séries actuelles, je vois des filles avec des lèvres gonflées au collagène, des nibards siliconés… On dirait toutes des coiffeuses. »

Point final de la saga, L’Ouvre Temps en est aussi en quelque sorte la synthèse, convoquant, le temps d’une ultime aventure, tous les personnages, lieux et éléments qui en ont fait le sel 4 décennies durant – » C’était important pour nous de saluer les uns et les autres, d’offrir à tout ce petit monde un dernier tour de piste. » Pour aussi fastidieuse, voire, par moments, carrément indigeste, qu’elle soit, cette perspective de catalogue compilatoire n’en charrie pas moins son lot de pincements au c£ur, de réminiscences lestées de nostalgie pure chez le lecteur de toujours. Avant de déboucher sur une chute, là pour le coup, à la hauteur de la série.

L’histoire sans fin

Pierre Christin:  » Evidemment, comme il n’y a pas, à proprement parler, de présent, de futur, de passé, que tout ça cohabite à l’intérieur de l’histoire, ça pose, pour un auteur, un problème un peu inédit au moment d’y mettre un terme. C’est pour ça qu’il y a 3 fins dans ce dernier album. Il y en a une qui est une fin de science-fiction classique, qui est celle qu’on retrouve dans plein de films, comme Avatar d’ailleurs, et qui est la fin politiquement correcte, très bête, du triomphe du bien sur le mal. Une deuxième, plus intéressante, qui est celle d’un retour vers les origines, moins gratifiant que prévu, parce que les personnages ont changé, évolué. Et une troisième, enfin, qui est celle d’un pari sur l’avenir impliquant un retour vers le passé. Autant dire, je l’espère du moins, que ce final laissera le lecteur aussi perplexe que le tout premier album le faisait… (rires) «  Une ultime pirouette, donc, dans le chef d’un scénariste passé maître dans l’exercice. Pour un final qui, pour triple qu’il soit, se révèle surtout on ne peut plus ouvert. Logique, somme toute, s’agissant d’une saga ayant fait du principe d’ouverture l’un de ses chevaux de bataille (3). Ou tout l’art de transformer la fin d’une histoire en une histoire sans fin…

(1) L’empire des mille planètes (1971), Les oiseaux du

maître (1973), L’ambassadeur des ombres (1975), Métro Châtelet direction Cassiopée et Brooklyn station terminus cosmos (1980 et 1981), pour ne citer que les plus marquantes…

(2) Scénariste de Blueberry, Buck Danny et autres.

(3) Se souvenir, notamment, de la manière dont Valérian triomphait de l’ultime épreuve des Héros de l’équinoxe (1978).

Valérian tome 21, L’Ouvre Temps, de Christin et Mézières, Éditions Dargaud.

Texte Nicolas Clément

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