Il nous faudrait des mots nouveaux

De livre en livre, Laurent Nunez est en train d’inventer un genre nouveau: celui de l’essai de sagesse littéraire. Dans L’Énigme des premières phrases (Grasset, 2017), il s’était penché sur la manière dont les incipits des grandes et moins grandes oeuvres de l’histoire de la littérature nous apprenaient à nous réconcilier avec la question de nos origines. Dans Il nous faudrait des mots nouveaux, il propose cette fois de partir en quête des trous qui habitent notre langue, et nous rendent incapables de dire l’essentiel. Au fil d’une petite quinzaine de chapitres joueurs et joyeux, explorant une série de mots tirés de langues étrangères, de préférence très exotiques (comme le inuktitut ou le yaghan), Laurent Nunez fournit un échantillon édifiant de ces manques. Exemple? Le mot urdu « naz » (sans e). Il s’agit rien moins que de  » la fierté qui nous remplit de savoir que l’on est aimé plus que tout au monde« . Commentaire de Laurent Nunez:  » Quelle chance. Quel effroi. » En effet, même le plus universel en apparence, comme le sentiment d’amour et tout ce qui l’accompagne, s’avère justiciable de la vie de la langue. Il n’est jusqu’à nos expériences les plus intimes qui requièrent les mots pour le dire, sous peine de ne pas exister vraiment. Autre exemple? « Gigil », en filipino. Soit ce que l’on ressent lorsqu’on regarde une vidéo de chatons sur Internet. Spinoza en aurait écrasé les araignées que, d’ordinaire, il regardait se battre dans son atelier d’optique: voilà un affect qui ne figure nulle part dans l’abyssal catalogue de son Éthique. Le pauvre, il ne pouvait pas prévoir les vidéos de chatons, ni que quelqu’un, quelque part, aurait pensé à un mot pour le dire. Laurent Nunez si.

Il nous faudrait des mots nouveaux

de Laurent Nunez, ÉDITIONS DU Cerf, 192 pages.

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