Ce qui t’appartient

Lorsqu’il rencontre Mitko dans les toilettes du National Palace of Culture, le narrateur, professeur d’université américain, n’est à Sofia que depuis quelques semaines, encore peu acclimaté à la langue bulgare. Mais ce qui se joue désormais entre eux, sur le fil biaisé d’avance du désir et de la tractation, se passe bien de traduction nuancée. Le jeune Bulgare ne s’encombre d’ailleurs jamais d’étiquettes, envisageant chaque négociation avec aplomb et pragmatisme. S’il ne se définit jamais comme un prostitué, il ne dissimule pas pour autant ses nombreux « priyateli » (copains? clients? la frontière est poreuse et le vocabulaire sibyllin) et les cadeaux de prix qu’ils lui font. L’Américain, fiévreux de passion, tente de se persuader que le marché entre eux est clair ( » J’en retire du sexe, dis-je, et toi de l’argent, c’est tout« ), mais ni lui ni son amant ne sont réellement dupes. Que mettent-ils au juste en balance dans leurs ébats? Quelles mises en danger le professeur évacue-t-il en regard de la peau et du frisson? Se peut-il qu’un jour le rapport de forces s’inverse, que la vulnérabilité change de camp? Ce qui t’appartient aurait pu n’être qu’un premier roman glissant sur la pente tantôt sordide tantôt électrisante des relations tarifées et de l’emprise amoureuse. En nous donnant à palper dans ses tréfonds la solitude viscérale des hommes, la mélancolie d’un déraciné, en nous donnant à lire une violence pas toujours larvée qui spirale à travers la généalogie du narrateur et une culpabilité poisseuse éclose à l’adolescence, Garth Greenwell nous essore bien davantage.

De Garth Greenwell, éditions Rivages, traduit de l’anglais (États-Unis) par Clélia Laventure, 251 pages.

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