La Maison disparue, d’Adelheid Duvanel

Après deux premiers recueils d’une beauté douloureuse (Délai de grâce et Anna et moi) parus en 2018 aux éditions Vies Parallèles, c’est désormais aux éditions Corti que la voix singulière d’Adelheid Duvanel (1936-1996) vient se nicher, pour notre plus grande joie. Ici encore, elle donne à lire, en une trentaine de vignettes de quelques pages à peine, tout ce que l’humanité a de plus vulnérable. La Suissesse, que l’on a si souvent rapprochée de son compatriote Robert Walser (à cause de leur goût commun pour les petites formes mais aussi de leur mort semblable, leurs corps ayant été retrouvés dans la neige), montre dans Démission une “employée de bureau débordée” affichant autant son zèle que son animalité (“Pendant ce temps, ce n’est pas la peine de me donner à manger ou à boire. Je pars chercher ma proie le soir, seule, en quittant la ville et en rôdant dans la vallée: à ce moment-là, les oiseaux et les souris ne sont pas à l’abri de moi”). Dans ce recueil où les disparitions agissent en trouées, les quêtes de rapprochement sont souvent vouées à l’échec. Dans Karl, si le protagoniste s’entiche d’une jeune fille aux yeux vairons, il voit en elle une réincarnation de la vieille dame souffreteuse qui s’asseyait à la même place auparavant. Dans Un homme à secrets, Karlali goûte à la compagnie de jumelles mais elles l’abandonnent, le laissant dodeliner dans sa solitude. Rôdent au détour des pages, et proches de l’existence même de l’autrice (diagnostiquée schizophrène), les contextes psychiatriques ou de mise sous tutelle. Si vous avez goûté à la tendresse biscornue de Lait sauvage de Sabrina Orah Mark ou à la célébration de l’infra-ordinaire du Tonneau magique de Bernard Malamud, vous voilà à nouveau au sein d’une famille poignante, parmi ces êtres intranquilles qui optent pour la marge, par conviction ou par rejet d’un monde brutal.