Deuxième album pour les losers sensibles de Gwendoline

© Aloïs Lecerf
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur son deuxième album, C’est à moi ça, Gwendoline danse sous les bombes avec un sens cynique et imparable de la formule.

Ils pissent sur le capitalisme, chient sur le politique et crachent avec humour à la gueule d’un monde qui part en vrille. Mieux vaut en rire que s’en foutre, comme chantait Didier Super. Mais Pierre Barrett et Mickaël Olivette, alias Gwendoline, baignent moins dans la provoc’ lourdingue que dans le je-m’en-foutisme acerbe par dépit. Les réflexions amères de comptoir, les illuminations de gazés et les pensées moroses de déclassés en fin de soirée. À l’heure où on renverse sa pinte sur la moquette et fait des cramettes dans le canapé…

Union soviétique. Modèle idéal. La Corée du Nord. Bon système social.” En ouverture de C’est à moi ça, son deuxième album, le tandem breton dresse un inventaire de nos travers et passe en revue les déboires d’une humanité kamikaze qui fonce droit dans le mur. Déclin, amertume et bitures. Déprime, cynisme et autodérision… Gwendoline, c’est un peu La Femme qui met une trempe à Glauque en narguant Nicola Sirkis avec un t-shirt Joy Division et des parfums de Taxi Girl.

Barrett et Olivette font de la “shlag wave, comme ils disent, de la cold wave de losers sensibles. Des hymnes à synthés pour les inadaptés. Gwendoline peint le portrait de la France en marge et traîne son mal-être existentiel sur des chansons drôles, dansantes et froides. Rêves de gloire. “Je voudrais être un héros national comme le flic sur TMC. Cédric à Thionville. Qui fait du social. Je veux passer à la télé.” Promesses éthyliques. “Tous les soirs, c’est la soirée de l’année. Même si les bars sont déjà fermés. Tous les soirs, on ira se noyer sur les trottoirs devant chez Didier…Mickaël et Pierre aiment ceux qui n’arrivent pas à se fondre dans le moule. Les paumés et les désenchantés les inspirent. “Parce que c’est de là qu’on vient. D’ailleurs, nous, le monde de la musique, on avait un peu abandonné.”

Beautiful losers, les deux Bretons se sont rencontrés via des petites annonces de musiciens sur Internet. “Mika avait un groupe et habitait à Rennes. Moi, j’arrivais en ville et j’en cherchais un.” “Notre première rencontre fut, je dirais, un peu bizarre, embraie Olivette. J’étais mineur. Je n’avais pas de bagnole. Du coup, il m’a embarqué pour une répète à bord de sa Seat Ibiza tout pétée dans laquelle il fallait rentrer par le coffre.

Barrett (1992) vient de la campagne nantaise. Il a bougé à Rennes pour les études après le bac. “Je ne me rêvais rien du tout. Fallait choisir. Alors, j’ai fait arts du spectacle, théâtre et cinéma à la fac. Ça n’a pas duré longtemps.” Mickaël, lui, est né en ville en 1994 et il y a grandi. “J’ai fait un bac pro de dessin industriel et un mois de musicologie avant de tout balancer. Je voulais vraiment faire de la musique. Trouver un taf et me barrer de chez mes parents au plus vite.

C’est ensuite l’histoire tristement banale des groupes qui essaient de percer. Parce qu’avant Gwendoline, il y a eu Olympia Fields. Puis aussi Constance. “Nos projets précédents n’ont pas fonctionné des masses, commente Pierre. Avec notre premier groupe en commun, on s’inscrivait à fond dans les concours et les tremplins. Ça n’a pas donné grand-chose. Impossible d’en vivre. Ado, je m’étais pris une grosse claque avec Guerilla Poubelle, le punk, son énergie, son Do It Yourself. Mais là, on était marqués par Foals, Two Door Cinema Club, Wu Lyf… J’étais à fond dedans.

Grave et marrant

Les rêves de carrière au placard, Mika bosse comme pion à mi-temps et Pierre fait la bouffe dans un resto rennais. “C’était super mais j’étais à plus que temps plein. Ultra speed. Beaucoup de pression.” Pour les deux hommes, Gwendoline, c’est avant tout l’occasion de se marrer. Mika résume: “On aime bien les boîtes à rythmes. Les trucs très froids et très dansants. Les teufs avec de la cold wave à fond la caisse qui rend tout le monde dingue. Ces morceaux sont souvent assez rapides. On a juste voulu mettre des guitares Indochine dessus.” Pierre enchaîne: “Le projet au début, c’était vraiment la cold wave, le post-punk. On en écoutait beaucoup. She Past Away, Motorama, Molchat Doma… Du rap aussi. Pour les textes, la manière de dire les choses, les intentions, on s’est aussi pas mal penchés sur la scène de l’Est: Ventre de Biche, Noir Boy George.

En 2017, Barrett et Olivette s’enferment pendant deux semaines pour enregistrer Après c’est gobelet!. Ils n’en font pas de promo, se contentant de le partager sur Internet. Merci Bandcamp! “C’est tombé dans l’oreille de Flo (Florian Gobbé, leur manager, NDLR), qui nous a poussés à faire des concerts, explique Mika. Sauf qu’on avait nos tafs et la flemme. Pas envie quoi. Au bout de deux ans, le programmateur Jean-Louis Brossard était chaud de nous voir. On y a été pour se marrer. Il a kiffé. Et c’est là que tout a démarré.

Gwendoline a joué aux Trans Musicales, trouvé un tourneur, réédité son disque et tout récemment signé avec le label Born Bad. “À vrai dire, on n’est pas des gros diggers de labels et de musique. On connaissait de nom. Et j’aime bien Frustration. Mais je ne savais même pas que c’était chez Born Bad.” “Pareil avec Vox Low. Et on appréciait aussi le côté artisan, petite entreprise…

Moins potache et plus sérieux, moins sale et plus produit, C’est à moi ça a le sens de la formule. “Il a fallu un peu essayer de se renouveler sur les sujets et ce qu’on voulait raconter. Parce qu’on n’était plus vraiment dans la position des losers. On avait plein de dates d’ailleurs…” Alors, ils ont maté des télé-crochets, des émissions absurdes, des reportages pourris qui suivent les flics et passent en boucle la nuit. Ils ont aussi un peu tenu à l’œil la politique française.Déjà sur le premier, tu sentais la haine qu’elle pouvait nous inspirer. C’était l’avènement de la start-up nation et compagnie…” Gwendoline ne manque pas de mordant. “On cherche à se marrer quand on bosse sur nos morceaux, termine Pierre. C’est déjà lié au contexte d’écriture. En buvant des coups avec ces reportages un peu nuls en tête. En gros, on va chercher des phrases assez graves qui nous font rire.

Gwendoline, C’est à moi ça ***(*), distribué par Born Bad.

En concert le 12/04 au Emerge! Festival, à l’Éden, Charleroi.

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