Séries et transidentité: « Nous avons besoin de comédiens et comédiennes trans »

Nicolas Bogaerts Journaliste

Coup de gomme sur la norme. La représentation des enfants et des ados trans dans les séries prend de l’ampleur. Le rendu d’un monde complexe est à l’oeuvre, qui défie la norme rigide, violente, et rend enfin visible d’innombrables possibles.

Longtemps, les personnages trans ne sont apparus dans les séries que de manière épisodique, en tant qu’éléments d’une intrigue passagère, représentant d’un fait saillant de société mal compris, mal défini, caricaturé et donc étouffé. Il aura fallu attendre Transparent de Joey Soloway, Sense8 des Wachowski ou, chez nous, La Théorie du Y de Caroline Taillet et Martin Landmeters pour gommer le caractère immuable de la norme hétérosexuelle et binaire et que s’ouvrent les portes d’une perception et d’une représentation nouvelles de la transidentité -et donc du monde que nous habitons. Le mouvement s’est prolongé depuis quelques années aux enfants et aux adolescentes transgenres, qui eux aussi souffraient d’un déficit criant de visibilité. Si aucune statistique n’existe sur le sujet, l’association belge Transkids, qui offre information et soutien aux enfants transgenres ou en questionnement quant à leur genre, et à leurs parents, estimait lors de son lancement en 2019 qu’entre 25.000 et 75.000 jeunes étaient concernés. Montrer, nommer avec respect les enfants transgenres et non binaires mène à reconnaître leur existence dans le monde.

Buck Vu dans The OA
Buck Vu dans The OA

Représentations plurielles

Les séries contribuent-elles à rendre visibles, sensibles la situation et le vécu des jeunes en transidentité? Parviennent-elles à en donner une image positive, à les inclure au même titre que les personnages hétéronormés? Peuvent-elles accompagner, inspirer, rassurer, respectueusement, les jeunes trans et non binaires? Pour Sarah Sepulchre, professeure à l’UCLouvain et spécialiste des représentations dans les séries, on vient de loin, mais il y a encore pas mal de boulot: « Le palier intéressant sera franchi lorsqu’on aura une multiplicité de personnages trans dans des séries dont ce n’est pas le sujet central, quand on aura des parents trans, des profs trans, des banquiers trans, etc. » Certaines séries ont passé il y a quelque temps une étape en intégrant dans les rangs de leurs personnages principaux des filles ou des garçons trans. Sam dans Mytho (Arte), Buck Vu dans The OA (Netflix), Frankie dans Better Things (FX, inédit en Belgique), Ben dans Good Girls (Netflix), Alex dans This Is Us (RTL TVI): entre normalité, représentations positives et écueils inévitables, ces séries dessinent un large spectre de possibles. Pour imparfaites qu’elles soient dans leur rendu, elles ne font pas nécessairement l’impasse sur les difficultés familiales, sociales, scolaires, la discrimination ou la violence. D’un autre côté, la minisérie Butterfly (diffusée sur Be TV en 2019) et la fiction australienne First Day (inédite ici) font de la transidentité des enfants leur sujet premier et n’hésitent pas à documenter une souffrance multiple: la discordance entre le genre assigné à la naissance et l’identité de genre ressentie, le regard que leur porte le monde ou la famille et la manière avec laquelle on leur refuse le prénom ou le pronom qui convient à leur identité. « Aujourd’hui, être trans, c’est encore faire face à des discriminations, de la violence, de l’invisibilisation, ajoute la chercheuse. Le montrer reste crucial. »

Maxine dans Butterfly
Maxine dans Butterfly

Je suis ce que je suis

Pour éviter d’enfermer la transidentité dans les stéréotypes, la palette émotionnelle et la complexité des personnages se doivent d’être amplifiées: « Il y a une image encore trop souvent fétichisée où le personnage trans est soit complètement malheureux soit complètement positif. Dans les deux cas, c’est réducteur, on n’a qu’une partie d’un spectre qui mérite toute la complexité accordée aux autres protagonistes. » Ainsi les personnages de Harper dans We Are Who We Are ou Jules dans Euphoria (tous deux produits par HBO) ne se réduisent pas à leur doute identitaire, et c’est bien l’aplomb avec lequel ils vivent leur complexité, comme dans un poème de Prévert, qui les rend attachants. Du reste, le sujet demeure touchy. On a tous en mémoire les débats qui ont accompagné en 2018 la sortie du film Girl du Belge Lukas Dhont. « Les personnes qui produisent et écrivent doivent faire très attention à ce qu’ils mettent à l’image, reconnaît Sarah Sepulchre. D’où l’importance d’avoir des réalisateurs et scénaristes trans et non binaires. C’est aussi important pour les acteurs et les actrices qui incarnent ce type de personnages de ne pas se limiter à jouer même si le talent de composition et la sincérité sont là. Nous avons besoin de comédiens et comédiennes trans. On peut en débattre, mais leur présence enrichit les représentations et ouvre un champ de possibles. »

Dans le grand mouvement pour plus de diversité à l’écran, la place des enfants et des ados trans et non binaires n’est pas anodine. Outre leur octroyer une place dans le rendu du monde et défier l’invisibilité sociale dont ils peuvent souffrir, il s’agit sans doute aussi de les inspirer: « Les séries nous offrent une capacité à rentrer dans le monde. En rendant visible tout le spectre des différences, elles jouent pleinement leur fonction de role model. C’est doublement vital: pour que les invisibles, les minorités, les jeunes puissent se sentir représentés, trouvent de quoi se rassurer, mais aussi pour questionner ces cases binaires, rigides, dans lesquelles les hétéros peuvent aussi se sentir à l’étroit. De la même manière que la représentation des femmes dans les fictions n’a progressé qu’à partir du moment où on a quitté l’image de la mère de famille pour aller vers des représentations plus complexes, la représentation des transidentités ne sera vraiment intéressante que lorsqu’elle rendra compte de leur complexité, de leur diversité. »

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