Sense8, la foire Wachowski sur Netflix

Daryl Hannah dans Sense8 © Netflix
Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

Grandiloquente, ratée et réussie en même temps, Sense8, la première série des auteurs de Matrix, déploie son étrange univers sur Netflix depuis le 5 juin. Dérapage contrôlé?

Ca sentait un peu l’accident. Et en fait oui. Et en fait non. Les Wachowski, même quand ils font n’importe quoi, le font souvent mieux que les autres. Après trois échecs commerciaux et/ou critiques -les désorientants Speed Racer, Cloud Atlas et Jupiter Ascending ont leurs défenseurs farouches, mais sont loin d’avoir percé en salles-, les concepteurs de la plus célèbre matrice de l’Histoire du cinéma s’attaquent à la petite lucarne par le prisme Netflix, autant dire un format hybride qui, finalement, leur va assez bien. Lana (Larry, jusqu’en 2012) et Andy Wachowski ont tourné Sense8 avec les (gros) moyens financiers qui leur sont familiers, en s’adjoignant les services d’un vieux du scénario (Joseph Michael Starczynski, Babylon 5, L’échange…), et en laissant les complices Tom Tykwer (Cloud Atlas) et James McTeigue (le grisant V For Vendetta) assurer quelques épisodes. Netflix, soucieux d’asseoir sa crédibilité dans le monde de la production, leur a donné les coudées franches ou presque. Le résultat n’étonne pas tant que ça: une fresque grandiloquente en douze épisodes, inégale, frustrante, crispante, florissante, pleine d’ambition, convaincante par endroits et complètement kitsch à d’autres. Une grosse kermesse au boudin pleine de stands bigarrés portée par un scénario philosophico-musclé forcément alambiqué.

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« Ça parle de la nature humaine, de l’identité, de qui on est, à la fois dans nos vies privées et publiques, ça parle de ce besoin qu’on a de se reconnecter les uns aux autres dans nos sociétés actuelles, ça parle de sexualité, de différences culturelles, des gens qui vivent dans des cadres socio-économiques tellement différents. Mais au final, on est tous humains, on ressent tous les mêmes émotions, et on a tous une connexion », tente de résumer l’Anglaise Tuppence Middleton, déjà présente au casting du très (involontairement) amusant Jupiter Ascending, et qui joue ici Riley, l’un des huit « sensates » du scénario. Lequel met donc en présence huit jeunes femmes et hommes répartis aux quatre coins du globe et qui, soudainement, vont expérimenter une connexion télépathique violente. Le suicide de leur mère –« Leur mère métaphorique, vous serez aimable de préciser », souligne, sourire aux lèvres, Daryl Hannah, la fameuse Elle Driver de Kill Bill-, connecte ces huit êtres qui, même s’ils évoluent à San Fransisco, Chicago, Mexico, Bombay, Londres, Nairobi, Séoul ou Berlin, vont se révéler capables de se sentir, de se parler à distance et, ressort scénaristique le plus malin, de profiter en temps réel des talents des uns et des autres. En clair, quand Capheus est en danger au Kenya, l’esprit de Sun, la Coréenne calée en arts martiaux, s’insinue en lui pour combattre « comme Van Damme ». Si chacun des personnages fait face à des difficultés personnelles de son côté (l’Allemand est mêlé à une histoire de cambriolage, l’Indienne à un mariage imminent, etc.), une organisation obscure va se charger, en poursuivant nos huit héros, de donner un fil rouge à cette première saison de douze épisodes.

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Ovni

Dans la colonne « contre » de cette première saison, notons l’horripilante et très datée technique du « tout le monde parle anglais avec un accent local, partout dans le monde ». Un tic particulièrement dérangeant à l’heure où des séries comme The Americans n’hésitent pas, par souci de crédibilité, à intégrer de longs dialogues dans la langue « logique » des protagonistes. A cet écueil s’ajoute celui, probablement plus embêtant encore, de la longueur exceptionnelle des épisodes d’exposition. On reproche parfois à certains pilotes d’aller trop vite en besogne pour captiver directement l’audience: ici, c’est l’inverse, non seulement le générique est interminable (deux minutes, probablement un record), mais il faut au moins trois épisodes pour détricoter un tant soit peu la trame narrative tarabiscotée de Sense8. D’où l’indispensable »binge watching » cher à Netflix. « Il y a beaucoup d’arcs narratifs à suivre, c’est aussi pour ça qu’il faut voir cette série sur sa globalité. Les gens feront le voyage avec les personnages et réaliseront, au fur et à mesure, ce qui leur arrive », avance Tuppence Middleton. Si l’on ajoute des dialogues faiblards ou sentencieux, façon « qui sait si c’est nous qui faisons un choix ou si c’est le choix qui nous fait? », et une sérieuse disparité d’intérêt entre les personnages -le mal « naturel » du scénario choral-, on se dit que Sense8 tire à côté. Et pourtant, les Wachowski restent les Wachowski. De par son ampleur, ses ambitions et le développement de certains noeuds du scénario, leur série se distingue comme une sorte d’ovni fictionnel. Comme souvent, Andy et Lana abordent les questions du genre, de la sexualité, de la spiritualité sous l’angle blockbusterisé du cinéma d’action, mais avec une forme d’audace et de panache indéniable, notamment dans la typologie peu conventionnelle des personnages principaux (un acteur homosexuel, une ex-hackeuse transsexuelle, etc.) et dans quelques scènes assez frontales. Boursouflée, Sense8 n’en manque pas moins d’un certain souffle qui a toute sa place dans l’univers actuel des séries. Et c’est peut-être le paradoxe de ce duo: « Ils travaillent en symbiose, comme des jumeaux, précise Daryl Hannah. Ils communiquent sans parler, comme les sensates. » Cette histoire est donc un peu la leur.

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