Euphoria: l’adolescence à la rue

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Notre sélection télé pour la semaine du 3 au 9 août, avec la série Euphoria et des documentaires sur Robert Redford, Klaus Dinger ou Eric Burdon.

EUPHORIA

Série créée par Sam Levinson. Avec Zendaya Coleman, Barbie Ferreira, Sydney Sweeney. ****

Jeudi 8/8, 20h30, Be 1.

Bien décidée à ne pas laisser à Netflix le monopole de l’adolescence, HBO se lance dans le teen drama. Percutante, dérangeante, et produite par le rappeur Drake, l’euphorisante Euphoria raconte le destin de la jeune Rue (Zendaya Coleman), lycéenne sortie d’un été en désintox, qui replonge dans les médocs pour approfondir ses désorientations. Elle se lie avec Jules (Hunter Schafer), une trans enjouée, Cassie (Sydney Sweeney, vue dans Sharp Objects, Everything Sucks!) la dévergondée et Kat (Barbie Ferreira) aux rondeurs décomplexées. Sur leur route: les mecs, l’addiction aux drogues, au sexe, le slut shaming, le porno en ligne et cette fichue peur au ventre de ne faire partie de rien et d’être personne. Euphoria pérennise les canons établis au début des années 80: des kids de la bourgeoisie aisée qui défient les codes de la bienséance, s’encanaillent à coups de fêtes dans des villas avec piscine… et des parents absents ou à la ramasse. Mais point ici de mésaventures potaches. Les ados sont embourbés dans ce fichu marais que les observateurs appellent « quête d’identité ». Ils avancent à tâtons, se mettent en danger, testent leurs limites. Délaissant le cursus honorum Disney qui l’a révélée (des bluettes de Disney Channel à la nouvelle franchise Spider-Man), Zendaya Coleman détonne dans le rôle de Rue, fille désaxée mais axe de symétrie d’un casting relevé, au coeur d’un exercice périlleux.

Danser au bord du précipice

Avertissement sans frais: les images vont loin. Très loin. Pas simplement parce qu’elles montrent des pénis dans les douches ou sur les écrans des smartphones, mais parce qu’elles illustrent, dans la lignée de Skins ou Shameless, une sublime danse au bord du précipice et de la déprime, angoissée, mais vitale. Le style et la réalisation (celle de Sam Levinson, fils de Barry) donnent à Euphoria ce petit goût ramenard, cogneur et rêveur qui sied si bien à l’âge dit ingrat. La caméra qui explicite, virevoltant autour des corps, les effets psychotropes; la lumière, les angles, les contre-jours et les contre-plongées qui disent les relations d’emprise, l’importance du statut social (être populaire, sexuellement défini, loser ou ignoré). Une esthétique qui rappelle les séries estampillées ados des années 90 et 2000 pour mieux leur régler leur compte, et finir un job qu’elles n’ont simplement jamais commencé. Car Euphoria plonge dans la noirceur des corps et des psychés de jeunesse avec une délectation que d’aucuns pourraient trouver coupable ou complaisante. Alors qu’elle n’est qu’une étape supplémentaire dans le difficile exercice de la cartographie adolescente. Et tant pis si le jusqu’au-boutisme de l’exercice dérange.

Nicolas Bogaerts

Euphoria: l'adolescence à la rue
© AF archive/Alamy Stock Photo

ROBERT REDFORD, L’ANGE BLOND

Documentaire de Pierre-Henry Salfati.

Dimanche 4/8, 22h45, Arte.

Beau gosse au sourire Pepsodent et à la réputation de gendre idéal, Robert Redford n’est pas resté longtemps le produit blond et bronzé de la côte californienne. Homme de cinéma par métier, militant par nature, le natif de Santa Monica a mis sa plastique et sa filmographie au service des bonnes causes et de ses engagements (socio) politiques. Défense de l’environnement et des Indiens, critique des institutions… À la fois en tant qu’acteur et que réalisateur (sa manière à lui de passer à l’action), Redford s’est imposé comme un influent protecteur du rêve américain et de la planète, entendu jusque dans les hémicycles des Nations Unies. Pierre-Henry Salfati tire le portrait d’un mec qui a toujours eu le souci du bien commun et de l’intérêt collectif, obnubilé par la protection de la nature, la qualité de l’air et de l’eau… Ce documentaire raconte aussi son étroite collaboration avec Sydney Pollack (ensemble, ils se sont fait lanceurs d’alerte) et un comédien au style minimaliste qui même en méchant ne l’était jamais vraiment. J.B.

Euphoria: l'adolescence à la rue

KLAUS DINGER, AUX AVANT-POSTES DE LA TECHNO

Documentaire de Jacob Frössén.

Dimanche 4/8, 23h40, Arte.

« Pour moi, Neu! reflétait l’idéal naissant des jeunes Allemands et de la nouvelle vie qu’ils pouvaient mener libérés de l’influence de la musique américaine sur leur propre culture. » Ces mots sont d’Iggy Pop. Et l’Iguane sait de quoi il parle. L’Allemagne, il y a vécu au milieu des années 70. C’est là qu’il a enregistré ses meilleurs albums solo. Là qu’il s’est libéré de l’héroïne. Puis avant d’être cette bête de scène (im)mortelle et le leader des Stooges, Iggy était le batteur des Iguanas. Forcément bien placé aujourd’hui pour évoquer le cas de Klaus Dinger. Sa frappe implacable et motorique.

On est au début des années 70. La jeune génération teutonne, lassée par la monotonie de l’après-guerre, veut briser les codes et créer une musique nouvelle. Après avoir brièvement joué en sa compagnie dans Kraftwerk, le frénétique batteur Klaus Dinger fonde Neu! avec le guitariste Michael Rother… Entre une interview audio du principal intéressé datant de 1998, son binôme qui raconte leur relation et David Bowie qui revendique leur influence sur un plateau de télé, Bobby Gillespie (le leader de Primal Scream qui a joué de la batterie pour The Jesus and Mary Chain), Emma Gaze des regrettées Electrelane mais aussi Stephen Morris (Joy Division, New Order) qui tape depuis 30 ans sur des trucs pour gagner sa vie alimentent ce fascinant documentaire sur l’une des pierres angulaires du krautrock. J.B.

Euphoria: l'adolescence à la rue
© Marianna Burdon

ERIC BURDON, ROCK’N’ROLL ANIMAL

Documentaire de Hannes Rossacher.

Vendredi 9/8, 22h45, Arte.

« Aujourd’hui encore, je rêve que je le torture jusqu’à la mort. Que je le coupe en morceaux et que je le jette dans la Tamise… » Eric Burdon parle d’Alan Price, le guitariste et claviériste des Animals qui a déposé dans son dos le mythique The House of the Rising Sun et en détient tous les droits… Peu de gens le savent ou s’en souviennent mais avec les Beatles, les Stones, les Kinks et les Who, les Animals furent au milieu des années 60 parmi les fers de lance de la British Invasion. « Je n’avais jamais rien entendu d’aussi prenant et d’aussi fort », dit à leur sujet Patti Smith. « Ils transpiraient quelque chose de différent. Ce n’était plus du showbiz, c’était une manière d’être », enchaîne Steven Van Zandt. « Pour moi, les Animals ont été une révélation. Ce sont les premiers disques avec une vraie conscience de classe que j’ai entendus », poursuit le Boss Bruce Springsteen. Humour, humanité et sens de l’injustice… Le documentaire d’Hannes Rossacher part à la rencontre de l’explorateur musical, de l’agitateur, du pyromane, du pacifiste. Savoureux et passionnant. J.B.

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