Laurent Raphaël

L’édito: le syndicat du stream

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Ce n’est pas un scoop, en 20 ans, l’industrie de la musique a complètement changé de paradigme: les ventes de supports physiques se sont effondrées -entraînant dans leur chute les disquaires-, le live a pris une place centrale dans l’assiette financière des artistes, et surtout, la musique s’est massivement dématérialisée, se consommant désormais partout et tout le temps sur son téléphone, sa tablette, son PC ou son autoradio connecté. Les « digital natives », qui sont nés avec un smartphone dans la main, n’imaginent même pas que leurs parents aient pu un jour écouter leurs idoles sur des cassettes.

Et le vinyle alors? Certes, la galette a connu un engouement à contre-courant de la digitalisation, et même permis à une forme d’artisanat de survivre ou de renaître. Mais ce sursaut est loin de pouvoir enrayer la dynamique en cours ou de compenser le déclin accéléré des ventes physiques, CD en tête. Le disque microsillon, qui pèse moins de 10 % du gâteau, permet juste de cultiver le potager bio de la nostalgie. Mais certainement pas d’empêcher les multinationales qui pratiquent la culture musicale intensive d’étendre leur emprise sur nos oreilles (74% du chiffre d’affaires de la musique en Belgique l’an passé).

D’autant que la pandémie a encore accéléré le mouvement de bascule. Tout bénef pour les plateformes de streaming. À commencer par Spotify, leader du marché, dont la valeur a triplé en un an. Pour s’offrir le géant suédois et ses 155 millions d’abonnés payants, il faudrait débourser à l’heure actuelle pas moins de 70 milliards de dollars.

Conséquence de cette révolution sonique et de la perte sèche des revenus du live depuis un an: les groupes sont encore plus dépendants qu’avant de ces grossistes en chansons. Problème: le mécanisme de redistribution aux artistes des gains engrangés tant par les abonnements que par la pub est un secret aussi bien gardé que la recette du Coca-Cola.

Depuis que Spotify, Deezer, Apple, Tidal et une poignée d’autres ont la main sur le game, la même question revient en boucle: combien touche un artiste par stream? Si Apple, qui totalisait 60 millions de clients en juin 2019, affirme payer 0,01 dollar le stream -versé non pas directement aux auteurs mais aux ayants droit, qui se servent encore au passage-, chez Spotify, c’est plus nébuleux. Des critères comme la position sur le marché local ou l’intégration à certaines playlist plus visibles sur l’appli contre réduction des royalties entrent également dans l’équation. D’après les estimations, le tarif moyen se situerait autour de 0,00331 dollar. Autant dire des miettes, même si le trafic est plus intense. Dans un écosystème fragilisé, pas étonnant que la colère gronde. En solo ou par la voie de syndicats, les auteurs-interprètes, dont certains sont pourtant des machines à tubes comme Nile Rodgers, montent au créneau pour exiger plus d’équité.

Pour éviter un bad buzz, le géant suédois s’est lancé dans une opération louable de transparence en lançant il y a un mois un site (loudandclear.byspotify.com) qui prétend dire toute la vérité, rien que la vérité sur son business. Les graphistes ont bien bossé. Le site est beau comme un camion de pompier. Mais pour dépasser la com (5 milliards de dollars reversés en 2020, contre 3,3 en 2017), il faut gratter un peu la surface. Exemple: 550 000 morceaux ont dépassé le million d’écoutes en 2020, se vante Spotify. Impressionnant. Sauf que, comme le révèle l’autrice-compositrice britannique Fiona Bevan dans la Libre, si une chanson est écrite par trois personnes, il faut dix millions de streams pour que chacune touche… 1 000 euros. Autre exemple: 7 800 artistes ont empoché plus de 100 000 euros l’an dernier. On se dit pas mal. Mais rapporté à la totalité du catalogue, cela ne fait même pas 1%. Cet arbuste cache donc une forêt d’artistes précaires qui doivent se contenter pour la plupart de 1 000 euros par an (1,2 million exactement).

Plus que Spotify, Apple ou Deezer, c’est tout le système du streaming, avec ses couches d’intermédiaires et sa prime au hit formaté, qui marche sur la tête s’il est incapable de rémunérer décemment ceux qui l’alimentent. Beaucoup d’appelés, très peu d’élus.

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