Du punk bubblegum des Plastiscines au garage rock des Dum Dum Girls, les filles reprennent les guitares. Girl power!

Sur le deuxième CD des Plastiscines, un sticker précise:  » As seen on Gossip Girl. ». Ce n’est pas rien. La série télé cartonne, et puisque la musique ne passe plus dans le petit écran, et que les plus jeunes écoutent encore à peine la radio, elle fournit une fenêtre d’exposition privilégiée pour le groupe français. Autant être de son temps. Les Plastiscines, 4 Parisiennes nées autour de 1987, le sont forcément. Et en même temps pas du tout, en ce qu’elles jouent une musique à rebours: du rock. Façon punk-pop bubblegum, pour essayer d’être un peu moins vague. On en parle avec une moitié du groupe, lors du marathon promo bruxellois. Soit Marine Neuilly (guitare) et Louise Basilien (basse), qui confirme: « On n’était pas vraiment les filles les plus populaires du lycée. Tout le monde écoutait du r’n’b. A l’époque, cela nous faisait chier, on était 3 paumées à écouter durock. »

Aujourd’hui, le groupe est tout de même signé sur un label américain. Marine Neuilly explique comment:  » Le premier album était sorti aux Etats-Unis, ce qui nous avait permis d’y faire quelques dates. A New York, Los Angeles ou au festival Coachella, par exemple… «  C’est là que le producteur Butch Walker les a vues jouer, séduit par leurs 3 accords balancés avec l’accent frenchy. Pareil pour Marvin Scott Jarrett, rédac’ chef du magazine de mode Nylon, qui s’est alors mis en tête de signer les Françaises pour inaugurer officiellement le catalogue de son nouveau label de disques. Ce qui tombe bien: le groupe est alors en délicatesse avec Virgin, qui après avoir sorti son premier disque ne souhaite pas prolonger. Pour quelles raisons? Basilien: « Bah, ce n’est pas très intéressant. » Mais encore? Neuilly: « C’est juste qu’on n’arrivait plus trop à travailler ensemble. »

La faute peut-être (sûrement) aussi à des attentes déçues… Quand elles sont lancées, les Plastiscines se retrouvent forcément emmenées sur la vague française des « bébés rockeurs »: au milieu des années 2000, des moins de 20 ans réenfilent perfecto et lunettes noires, de Naast à BB Brunes en passant par Second Sex… Les Plastiscines font ainsi la couv’ de Rock’n’Folk avant même d’avoir sorti leur premier disque. Trop trop vite? Le retour de flamme ne tarde pas. « A cette période-là, on avait l’impression d’être moins légitimes que les mecs qui sortaient de la Nouvelle Star. » Depuis, le mouvement a en tout cas largement reflué.

Et si un groupe comme les BB Brunes semble avoir tiré son épingle du jeu, le malentendu reste encore bien présent. En citant à tout va les noms d’Iggy Pop et des Sex Pistols, la plupart de ces groupes ont été vendus comme une nouvelle poussée punk. Alors qu’ils naviguent plus facilement sur des eaux pop… Les Plastiscines ne disent d’ailleurs rien d’autre aujourd’hui. Neuilly: « On adore les girls band des années 60. » Et le punk alors?: « Il est moins présent ici. Cela dit, nos racines restent toujours du côté des Ramones. Ou de Blondie. »

Le dernier exemple n’est pas innocent. Le groupe de Deborah Harry est en effet emblématique de ces formations parties de la scène punk et new wave pour glisser vers la pop. C’est même plus largement l’histoire du punk joué au féminin: un genre, mais plusieurs déclinaisons.

Faille et fentes

Sorti la semaine dernière aux Etats-Unis, The Runaways est le premier long métrage de Floria Sigismondi. D’origine italienne, Sigismondi est surtout connue pour la réalisation de clips (de Christina Aguilera à Muse en passant par The Cure). Ici, elle se lance carrément dans le biopic. En l’occurrence, celui du groupe mené par Sandy West et Joan Jett.

Milieu des années 70, les 2 femmes ont la même idée: lancer un groupe de rock entièrement féminin. Le producteur Kim Fowley mettra les 2 filles en contact et contribuera largement aux futurs succès des Runaways, façon power pop, glam et guitares. Plus tard, Joan Jett filera en solo pour encore ajouter le tube I Love Rock’n’Roll à son palmarès. Ce qui ne l’empêche pas aujourd’hui de coproduire le film de Sigismondi. Elle expliquait ainsi récemment à la presse nord-américaine que le biopic évoquait notamment une époque où « les filles pouvaient jouer de la guitare sèche mais pas de la guitare électrique. Pas parce qu’elles n’en étaient pas capables mais parce que c’était un interdit! Et c’était un interdit parce que le rock’n’roll implique le sexe. Et que l’éveil de la sexualité chez les femmes, c’est menaçant. »

De fait, en 1976, année de sortie du premier album des Runaways, les groupes de rock féminin sont encore l’exception. Ils vont cependant bientôt se multiplier. Y compris, voire surtout, en empruntant la voie punk, plus radicale que le glam rock de Jett et ses copines.

Après tout, dans la lignée des blues women telle Big Mama Thornton, Janis Joplin avait déjà prouvé qu’une femme pouvait « envoyer le bois ». Plus tard, au sein du Velvet Underground, la batterie n’était pas tenue comme il se doit par le bûcheron de service mais bien par Maureen Tucker. Surtout, dès le milieu des seventies, Patti Smith est une des premières à livrer un rock au féminin qui garde tout son tranchant.

Du coup, de l’autre côté de l’Atlantique, en Angleterre, une série de groupes se glissent dans la faille. Ou plutôt dans la fente. Dites The Slits, au pluriel et en anglais dans le texte, pour retomber sur le groupe mené par Ari Up (Ariana Forster), 15 ans en 1977. A l’époque, le groupe de filles se retrouve embarqué dans le White Riot Tour des Clash. Il ne passe pas inaperçu. Dans la somme England’s Dreaming, Viv Albertine (guitare) raconte à Jon Savage:  » On devait soudoyer le chauffeur pour qu’il laisse monter les Slits dans son bus. Partout où on allait on devait presque nous attacher à nos sièges, à chaque hôtel, il fallait qu’on nous fasse entrer en douce. On n’était pas des petites filles bien sages… (…) Il fallait graisser la patte au chauffeur, mais parce que sa sexualité était dérangée par l’image contradictoire de ces jolies filles aux chevelures sauvagement emmêlées. La sexualité d’Ari, qui avait seulement 14 ans, et une jupe qui laissait voir ses fesses. Il devait trouver ça si menaçant et si excitant en même temps. »

Au même moment, Marion Elliot, fille d’un père somalien et d’une mère anglaise, se fait appeler Poly Styrene. Elle fondera le groupe X-Ray Spex, le temps d’un album et une poignée de singles, dont le classique Oh Bondage, Up Yours. En Suisse, les filles de Kleenex sont, elles, obligées de changer leur nom en LiLiPUT, mais le déferlement sonore reste le même.

Car les filles du punk tapent dur et jouent fort. Au moins aussi enragées, sinon davantage, que leurs collègues masculins. Pourtant, elles ne mettent que peu leur fureur au service de la cause féministe. Ou en tout cas rarement de manière frontale. Toujours dans England’s Dreaming: « Le punk ne faisait pas grand-chose pour remettre en cause la sexualité ou même simplement l’image masculines, dit Lucy Toothpaste, dont le fanzine Jolt partageait explicitement les idéaux féministes. Mais au début ça a donné confiance aux femmes. Des groupes de garçons qui ne pouvaient pas jouer une note montaient sur scène, alors pour des filles qui ne pouvaient pas jouer une note non plus, c’était facile. Quand elles s’affirmèrent, certaines chantèrent leur propre expérience d’une façon nouvelle, à mon avis jamais entendue auparavant. Dans mes interviews, je n’ai jamais entendu une punk dire qu’elle était féministe, parce que je pense qu’elles trouvaient l’étiquette féministe trop sérieuse, mais les paroles avec lesquelles elles débarquaient étaient pleines de défi, remettant en cause tous les messages qui nous avaient nourris à travers les BD beaufs. Les femmes, grâce au punk, sentaient qu’elles pouvaient se battre à armes égales avec les hommes. »

Les filles, décomplexées, peuvent donc elles aussi monter le volume de l’ampli au maximum. Quitte à prendre parfois des poses très viriles… Au fil des ans, les femmes vont ainsi devenir des rockeurs comme les autres, rentrant dans le rang. Ou alors en ressortant l’arme de la séduction -mais cette fois-ci assumée, volontairement chargée sexuellement: c’est l’exemple typique de Blondie aux Etats-Unis ou des éphémères Transvision Vamp (dont l’un des membres était passé par X-Ray Spex).

En fait, il faudra attendre les années 90 et le grunge pour voir des filles reprendre des guitares. Quelqu’un comme PJ Harvey se pose bientôt en héritière d’une Patti Smith. Aux Etats-Unis, Hole, le groupe de Courtney Love, fait parler de lui, à côté d’autres groupes féminins dont les racines punk sont rarement démenties comme L7 ou Babes in Toyland. Hole reprend d’ailleurs The Void des Raincoats, groupe punk dans lequel jouait notamment Palmolive, transfuge des Slits… Mieux: c’est le mari de Love, Kurt Cobain, qui se charge de rééditer en bonne et due forme les 3 albums des Raincoats.

Héritage

Dans la foulée, happé par la violence sonique du grunge, le mouvement riot grrrl remet une série d’attitudes féministes au centre du jeu. Un girl power cette fois revendiqué, notamment par une formation comme Sleater-Kinney ou Bikini Kill. Ici, les revendications féministes sont transparentes, claironnées sur une musique volontiers hardcore. Significatif: le groupe mené par Kathleen Anna sera notamment produit par Joan Jett…

La même Joan Jett que l’on apercevra encore plus tard aux côtés de Peaches. Pour le coup, l’électro-clash de la Canadienne, née Merrill Beth Nisker, n’hésite jamais à jouer la provoc’, via des slogans chocs et des concerts-performances qui empruntent volontiers à la sauvagerie d’un Iggy Pop.

Et aujourd’hui? Le rock est-il encore le lieu privilégié d’une affirmation féminine, voire féministe? Pas plus que les autres, serait-on tenté d’écrire. Peut-être en partie parce que la mixité s’est généralisée, jusqu’à devenir parfois un gimmick (des White Stripes aux Raveonettes en passant par The Kills). Peut-être aussi parce que le rock n’est plus vraiment le lieu de l’engagement politique, quel qu’il soit. Où l’on redonne ainsi la parole aux Plastiscines… Marine Neuilly: « On a commencé à faire de la musique parce qu’on s’emmerdait au lycée. En réaction aussi à toute la musique que l’on n’aimait pas autour de nous. Rien de plus. «  Louise Basilien prolonge: « Pour l’instant, livrer un quelconque message politique ne nous intéresse pas. On peut parler de la vie et de sa légèreté et l’exprimer avec autant de rage qu’un sujet politique. Les mecs qui grattent 3 accords de reggae en gueulant que la société va pas bien, c’est juste chiant. Et ça ne change rien. »

N’empêche: via The Gossip (le groupe cette fois, pas la série télé), quelqu’un comme Beth Ditto relance l’idée d’une présence féminine forte dans le rock. Entre-temps, Courtney Love a relancé Hole, avec un nouvel album et des concerts à la clé (aux Nuits Botanique notamment). Des groupes punk historiques ont également refait parler d’eux ces dernières années, en annonçant leur come-back scénique, de Siouxsie and the Banshees aux Slits. Plus globalement, on a revu poindre une série impressionnante de nouveaux girls bands. Des groupes qui vont piocher dans l’héritage rock féminin, de Patti Smith à Yoko Ono, des Breeders à The Organ… Pas un mois ne semble passer sans l’arrivée d’un nouveau combo. Après les Vivian Girls, ce sont ainsi les Dum Dum Girls qui font aujourd’hui l’actualité. Leur album vient de sortir, produit par Richard Gottehrer. L’homme n’est pas un inconnu: il a notamment réalisé le premier Blondie…

Plastiscines, About Love, chez Warner.

Texte Laurent Hoebrechts

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