SANS DIALOGUE NI GAMEPLAY, KAN GAO PARLE D’AFFECTION ET DE SOLITUDE SUR A BIRD STORY. UN NON-JEU POIGNANT OÙ LES PIXELS 16 BITS DANSENT AVEC MIYAZAKI ET MAGRITTE.

A Bird Story

ÉDITÉ ET DÉVELOPPÉ PAR FREEBIRD GAMES, ÂGE: NC, DISPONIBLE SUR MAC, PC ET LINUX VIA FREEBIRDGAMES.COM

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A 25 ans, Kan Gao n’est pas un kid des années 90. Ce game designer canadien qui a grandi avec la PlayStation 1 maîtrise toutefois le langage visuel 2D comme aucun de ses contemporains. Développées sur les bancs de l’université de West Ontario, ses quatre précédentes aventures pixélisées rendaient ainsi un hommage doué à des jeux de rôle classiques de la Super Nintendo. Trois ans après To the Moon, récit traitant avec justesse de la vieillesse, l’artiste brosse avec A Bird Story un conte fantastique plongeant avec talent dans les méandres de la solitude et de l’amitié infantiles.

Chaque jour, la même routine grise: des parents absents (le genre à laisser des mots sur le frigo le matin -le soir aussi), une cour de récré tapissée d’ombres anonymes qui ne veulent pas jouer avec le jeune héros de A Bird Story… Sans glisser un mot, Kan Gao évoque avec justesse ce que peut vivre une âme esseulée. Pour réaliser ce tour de passe-passe, l’homme-orchestre arrache la grammaire ludique de jeux de rôle nippons cultes des années 90 comme Secret of Mana ou Final Fantasy III. Et n’en garde que leur substance narrative et esthétique old school.

Se considérant plus comme un conteur d’histoires que comme un programmeur, Gao appliquait déjà cette recette sur To the Moon en 2011. Autobiographique, le titre parcourait les rêves de voyage spatial inassouvis d’un vieil homme à l’agonie -son grand-père, en réalité. Mais contrairement à ce jeu (devenu entre-temps culte sur la scène indé), dialogues et puzzle games disparaissentsur A Bird Story. La démarche narrative se radicalise.

Less is more

Version postmoderne de la rencontre du Petit Prince et du renard, A Bird Story tire son talent des solutions techniques qu’il brandit face aux limitations de ses pixels. Au travail graphique qui tapisse les deux acteurs silencieux d’une centaine de sprites(1), Kan Gao insuffle un jeu de scène ingénieux et explicite. Une sorte de théâtre miniature muet et interactif qui demande simplement de diriger son personnage. Pas d’inventaire donc, ni de QCM, et encore moins de combat au tour par tour.

Le jeu tisse plutôt son voyage naturaliste magique autour des bandages d’un oiseau blessé avec qui son protagoniste se lie d’amitié. Miyazaki es-tu là? L’ensemble se coiffe également d’une bande originale classique qu’il a composée. Piano, hautbois et autre glockenspiel offrent un relief insoupçonné au récit pixélisé.

Une chambre à coucher en plein milieu des bois, des arbres qui se déplacent, un avion en papier géant… Joliment naïf mais un peu trop larmoyant par moments, A Bird Story prend également la forme d’un voyage surréaliste à la Magritte. Et initiatique. La nature et la ville s’y confondent doucement, l’onirisme y brille, le chemin de l’école s’allonge selon les états d’âme du héros. Un dialogue graphique s’installe. Le pixel n’est décidément pas mort…

(1) ANIMATIONS RÉALISÉES À BASE DE PIXELS.

MICHI-HIRO TAMAÏ

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