AVEC SOMMEIL D’HIVER, PALME D’OR À CANNES, L’oeUVRE DU CINÉASTE TURC NURI BILGE CEYLAN CONNAÎT UNE FORME D’ABOUTISSEMENT.

Winter Sleep

DE NURI BILGE CEYLAN. AVEC HALUK BILGINER, MELISA SÖZEN, DEMET AKBAG. 3 H 08. DIST: TWIN PICS.

8

Découvert en 2003 avec Uzak, Nuri Bilge Ceylan compte parmi ces réalisateurs dont le festival de Cannes a balisé le parcours, le cinéaste turc y glanant des distinctions multiples (le Grand Prix à deux reprises, ainsi que le Prix de la mise en scène) avant d’en repartir avec la Palme d’or, venue récompenser Winter Sleep en mai dernier. Inscrite dans la logique des choses, cette consécration couronnait surtout un auteur majeur, le tenant d’une oeuvre aussi exigeante que passionnante.

À l’ombre de Tchekhov

Sans avoir la fulgurance contemplative de son précédent Il était une fois en Anatolie, Winter Sleep vaut ainsi tout autant par la subtilité de sa mise en scène que par l’intelligence de son écriture. Citant Tchekhov –« Plusieurs de ses nouvelles m’ont servi de point de départ, mais je les ai adaptées au contexte anatolien »- mais encore Voltaire, Shakespeare et Dostoïevski, tout en s’inscrivant dans le sillage de Bergman, le cinéaste en situe le cours dans un coin reculé de Cappadoce. C’est là que l’on découvre Aydin (l’excellent Haluk Bilginer), un comédien à la retraite ayant retrouvé le village familial pour s’y occuper d’un petit hôtel -le bien nommé Othello-, encadré de sa jeune épouse Nihal (Melisa Sözen), dont le temps l’a éloigné, et de sa soeur Necla (Demet Akbag), fraîchement divorcée. Et qui, à défaut de s’atteler à cette Histoire du théâtre turc qu’il ne cesse de différer, partage son temps entre l’écriture de ses éditoriaux pour La Voix des steppes, une feuille de chou locale, et la gestion des affaires courantes; le tout avec l’assurance tranquille de l’individu à la tentation omnisciente, sinon omnipotente. Voire, toutefois: les rapports entre les uns et les autres vont évoluer à mesure que l’hiver se referme sur leur petit monde, le trio, replié sur lui-même, commençant à étaler ses déchirements au détour de conversations volontiers assassines, faisant jaillir la vérité humaine en même temps que les certitudes y volent en éclats…

Il y a quelque chose du discret tour de force dans la manière dont un Ceylan en veine littéraire réussit à articuler un scénario dont l’aridité n’est qu’apparente, pour inscrire son propos au carrefour d’enjeux humains -il y dissèque le couple et bientôt l’âme-, moraux, esthétiques et même sociaux. Une entreprise conduite en s’appuyant sur une architecture limpide et savante à la fois, la dynamique de ce drame intimiste n’en finissant pas de rebondir, jusqu’à apparaître inépuisable -à la mesure des majestueux extérieurs anatoliens offrant, épisodiquement, un contre-point à ce huis clos dense et suffocant. Un film d’une telle ampleur ne s’appréciant que sur la distance, Ceylan veille encore à laisser au spectateur le temps de s’y égarer pour tracer sa voie, et en mesurer l’impact, profond. Un privilège qui ne se refuse pas… Pas de bonus.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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