Le dernier testament

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L’auteur américain culte kurt vonnegut publiait en 1997 son ultime roman -qui n’en est pas tout à fait un. déroutant et jouissif.

Il y eut d’abord le livre que Kurt Vonnegut (1922-2007) voulut écrire. Un roman qui devait s’appeler Tremblement de temps, qui remettait en selle son double littéraire et auteur de SF raté Kilgore Trout, et reposait sur une idée brillante:  » un bug inopiné dans le continuum espace-temps obligeait tout et tout un chacun à refaire exactement ce qu’il avait fait pendant la dernière décennie, pour le meilleur et pour le pire. (…) Vous ne pouviez même pas vous plaindre que la vie n’était que du réchauffé, ni demander au voisin si vous étiez le seul à devenir dingue ou si tout le monde était en train de péter les plombs. Mon tremblement de temps a instantanément transporté chaque chose et chaque individu du 13 février 2001 au 17 février 1991.  » Sauf qu’après des années de travail et d’écriture, et à 74 ans, en 1996, Vonnegut n’en voit pas le bout, et n’a plus envie de l’écrire:  » Je me trouvais être le créateur d’un roman qui ne tenait pas debout, qui n’allait nulle part et qui, pour commencer, n’avait jamais demandé à être écrit. Merde! » Il décide alors de commettre un dernier « OLNI », qui ne ressemble de fait à aucun autre livre:  » Un ragoût concocté à partir des meilleurs morceaux du précédent et mélangé à des réflexions et expériences des sept derniers mois environ. » Kurt Vonnegut voulait l’appeler Tremblement de temps 2, mais son éditeur l’en a dissuadé -l’objet littéraire ainsi obtenu était déjà assez complexe comme ça. Complexe, mais incroyablement brillant. Et féroce. Et drôle. Et émouvant. Kurt Vonnegut se jauge d’ailleurs très bien lui-même:  » Je dois être dingue. »

Le dernier testament

Abattoir 5

Dans Tremblement de temps se mêle donc des extraits d’un roman déjà fou en lui-même et que l’auteur a refusé d’achever, et des réflexions et considérations sur son art, sur la culture américaine, sur ses pairs, ses proches et son propre parcours; des aphorismes et des pensées d’un auteur à jamais inclassable, adulé aux États-Unis, encore bien trop méconnu de par chez nous si ce n’est Le Petit Déjeuner des champions ou son fameux Abattoir 5 ou La Croisade des enfants, écrit en 1969, racontant le bombardement de Dresde du 13 février 1945 et ses 130 000 morts en deux jours. Dresde, en 45, Vonnegut y était, enfermé par les Allemands dans les sous-sols d’un abattoir, avant d’être chargé de rassembler et de brûler les corps. L’auteur en a gardé un pessimisme tenace à l’encontre de ses contemporains, qu’il a toujours eu l’élégance d’emballer dans un humour féroce et un style à nul autre pareil. Tout amateur de littérature, et pas seulement américaine, se doit donc de se jeter sur ce non-roman quasi testamentaire, pépite du plus doué et du plus iconoclaste des écrivains US: son ultime cri d’amour pour la chose littéraire, et ceux qui la composent.

Tremblement de temps

de Kurt Vonnegut, Super 8 Editions, Traduit de l’anglais (états-unis) par Aude Pasquier,

300 pages.

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