LA RÉALISATRICE BELGE SAVINA DELLICOUR, FORMÉE À L’ÉCOLE BRITANNIQUE, SIGNE UN PREMIER LONG MÉTRAGE AUX COULEURS D’ADOLESCENCE EN RECHERCHE.

Une jeune fille en quête d’identité, un détective privé qui en sait déjà plus qu’elle ne le croit, un milieu où les secrets de famille se croient bien gardés. Tous les chats sont gris installe le mystère sous la surface lisse et lumineuse, façon ligne claire, d’un décor à la fois banal et particulier. Savina Dellicour situe l’action de son film dans le monde d’une bourgeoisie bruxelloise rarement évoquée à l’écran, si l’on excepte les sketchs au vitriol de Stefan Liberski prenant pour cible les richards ucclois en loden et au parler pointu. « Je suis allée à l’école à Uccle, se souvient la réalisatrice, c’était mon environnement d’adolescente, cet univers de villas blanches avec les gazons verts. Mes parents habitaient plus au centre mais j’étais souvent invitée, après les cours à l’Ecole Européenne, chez mes copines de la bourgeoisie uccloise. J’avais un pied dedans et un pied dehors. Ça fait toujours sens de parler de ce qu’on connaît, et les codes, les non-dits de ce milieu précis convenaient bien pour situer Dorothy, sa quête et sa révolte… » Grande admiratrice de David Lynch, Dellicour a été marquée par cette séquence de Blue Velvet (vu quand elle avait quinze ans) « où la caméra glisse au début sur un paysage où tout a l’air parfait… avant de nous faire découvrir, sur une pelouse bien entretenue, une oreille coupée. » Cette exploration d’une apparence policée, rassurante, menant à la découverte de choses cachées, inquiétantes, la réalisatrice belge s’en est souvenue dans la mise en scène du cadre de Tous les chats sont gris, même si à la différence de son génial aîné, elle ne va pas vers le fantastique ni vers l’horreur mais plutôt vers « l’expression du ressenti de l’héroïne devant une surface trompeuse, qui veut sourire et prétendre que tout va bienalors qu’on sent bien qu’il y a des trucs qui ne vont pas, qui ne vont pas du tout…  » Et Dorothy de sortir de la maison familiale « où tout est blanc, froid, stérile« , pour rejoindre sa copine, enfourcher son vélo, « aller vers une certaine forme de liberté, d’aventure, d’inconnu« .

Back from the UK

Sa propre liberté, Savina Dellicour en a fait bon usage. Une fois fini l’IAD, elle a voulu poursuivre ses études de cinéma en Angleterre. Un an d’épreuves de sélection exigeantes lui offrit son sésame pour la NFTS (National Film and Television School). « Nous étions six élèves et nous avions trois profs, dont Stephen Frears!« , se rappelle avec bonheur celle qui mit à profit un enseignement « faisant constamment appel à la créativité en nous lançant des défis dans un contexte toujours pratique, appelant à se débrouiller dans des conditions de travail réalistes« . La petite Belge s’y plut et y fit impression, de sorte qu’elle resta en Grande-Bretagne une fois son diplôme obtenu, réalisant une dizaine d’épisodes pour la série télévisée Hollyoaks tout en tournant des courts métrages: Ready (avec Imelda Staunton), qui fut nominé pour un Student Oscar à L.A., puis un Strange Little Girls, qui fit le tour du monde des festivals (30 au total) en y étant souvent primé. « Strange Little Girls parlait déjà d’adolescence au féminin, il s’agissait de deux copines au caractère différent, donc de deux jeunes actrices à diriger: ce fut une bonne préparation à Tous les chats sont gris, un projet que j’avais déjà depuis longtemps, puisque l’idée était venue en 1999. »

Dans le même temps, le cinéma belge connaissait la plus remarquable des évolutions, avec une explosion de talents et une reconnaissance à l’étranger dont les échos ne manquèrent pas de parvenir à la jeune femme en Grande-Bretagne. « Etre belge est devenu un atout, quelque chose de bien vu, sourit Dellicour, et puis c’était très encourageant de voir tout ce qui devenait possible en Belgique, aussi dans le domaine de la production et du financement, avec le tax shelter… » Revenue à Bruxelles pour raisons familiales (elle y est devenue mère) et aussi pour donner à son premier long métrage cet « ancrage dans une réalité que je connais bien« , la réalisatrice s’est donné six mois pour trouver la jeune interprète de Dorothy. « J’ai pris le temps, car je voulais une actrice de l’âge du personnage, une véritable ado. Et aussi composer avec ce que serait cette fille, avec sa propre personnalité. J’ai rencontré énormément de filles, dont beaucoup s’identifiaient au sujet, soit parce qu’elles ne connaissaient pas leur père, soit parce qu’elles avaient des problèmes avec lui. Elles venaient au casting comme pour mener leur propre recherche personnelle… Je me suis rendue compte que le thème du film concernait beaucoup d’ados. Manon (Capelle, ndlr) ne correspondait pas à l’idée que j’avais en tête. C’est au fil d’impros avec dix filles sélectionnées, puis cinq, puis deux, qu’elle a émergé. J’ai aimé sa façon de se projeter dans chaque situation imaginaire comme si elle la vivait. Les situations pouvaient être fausses, ses émotions étaient toujours vraies! »

RENCONTRE Louis Danvers

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