La grande évasion

De retour en solo sous le nom d’Escape-ism, le savant et sauvage Ian Svenonius questionne l’album perdu sur un disque sale, sexy et lo-fi.

Par quel bout prendre Ian Svenonius? Tour à tour chanteur punk hardcore (The Nation of Ulysses), précurseur du revival garagiste (The Make-Up), animateur radio, DJ électrique et penseur de la cause rock’n’roll, le natif de Chicago secoue depuis 30 ans, avec son style fiévreux et ses thèses anticapitalistes, la scène de Washington D.C. Weird War, XYZ, Chain and the Gang… Outre une trentaine de disques, le fiévreux quinquagénaire a sorti essais et bouquins, revisité la Guerre froide et réenvisagé l’histoire de la musique. Dans le plus célèbre d’entre eux, Stratégies occultes pour monter un groupe de rock, Ian Svenonius interrogeait les stars de l’industrie sur les clés de leur succès. Et comme les vivants étaient peu enclins à partager leurs secrets et la couverture des magazines, il s’est adressé aux morts. Conviant les fantômes de Brian Jones, Jimi Hendrix ou encore Jim Morrison à ses séances de spiritisme. Fêlé? Un peu. Mais surtout terriblement passionnant.

Provocateur et théoricien du rock, Svenonius, pas à une réflexion sur le business près, questionne ici le concept de lost records. Ces disques perdus, discrètement ou jamais sortis, disparus, vieillis sous la poussière d’un grenier ou dans la moiteur d’une cave avant d’être retrouvés et célébrés… Avec Escape-ism, projet solo dont le premier album est sorti l’an dernier, l’Américain nous en propose un faux. Enfin, une espèce d’autobiographie plutôt, dans laquelle Svenonius raconte le malheureux à la première personne. Il s’adresse tour à tour au déterreur de cadavre ( Bodysnatcher) et égratigne les maisons de disques. Le tout avec humour, groove et poésie.  » I’m the lost. I’m the lost record. I’m not lost as much as unloved (…) I can tell you that the record companies have been neglecting me… »

La grande évasion

Enregistré dans quatre studios différents, Gaucho à Los Angeles, Flat Black dans l’Iowa, Tonal Park dans le Maryland et au Club Blasé de son cher Washington D.C. (déjà un attribut de disque maudit), The Lost Record est à la fois sale, lo-fi, plutôt dansant et sexy. Marqués par le storytelling du beautiful loser, sa diction lancinante, ses cris et gloussements, ces douze titres (dont une nouvelle version à la Stooges de Rome Wasn’t Burnt in a Day) oscillent entre Suicide, vieux rock et punk minimaliste. Guitare, drum machine, clavier, basse, sons (comprenez bidouillages) et percussions: Svenonius y touche quasiment à tout, avec quelques petits coups de main des copains. Slow du futur ( I Don’t Know Where Those Words Have Been), questionnement, ou pas, sur la paternité ( What Sign was Frankenstein?)… The Lost Record est un peu Le Cri de Munch mais avec ce fameux visage de fantôme remplacé par un 33 tours. Un album qui restera, même si a priori promis à l’obscurité, l’un des petits trésors, forcément givré, d’une fort prolifique discographie…

Escape-ism

« The Lost Record »

Distribué par Merge/Konkurrent.

8

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