DE SARA STRIDSBERG, ÉDITIONS LE LIVRE DE POCHE, 480 PAGES.

Andy Warhol, touché par 3 balles à bout portant au sortir de la Factory, plaque au ralenti sa perruque argentée contre sa poitrine ensanglantée. La scène est subjuguante, sommet d’onirisme dans le livre de la Suédoise Sara Stridsberg autant que climax dans la vie azimutée de son héroïne, Valerie Solanas. De cette Américaine morte en 1988, il reste peu de choses -la publication d’un manifeste féministe rageur et l’attentat raté sur le pape Warhol. Deux éléments qui suffisent à mettre en branle la romancière Sara Stridsberg, bientôt rivée à ce personnage comme Marguerite Duras le fut à Emily L. Entre les non-dits de la bio officielle, Stridsberg s’insinue pour ériger à Solanas une  » fantaisie littéraire » aux contours chronologiques mouvants, servie par des chapitres courts, dialogués. Tour à tour écrivain, révolutionnaire, artiste, psychanalyste, pute et rebelle, l’héroïne incarne en son temps  » l’outsider ténébreuse du mouvement de libération des femmes, de ses mustangs et de ses traîtres« . Qui voyait comme un acte politique de faire déborder son rouge à lèvres de sa bouche. Qui concevait la virilité comme une déficience:  » Le mâle n’est qu’une mécanique. Un godemiché ambulant. Un parasite affectif.  » Sa silhouette furieuse à gabardine en lamé brillant et hautes bottes blanches hante chacune des pages. Des scènes récurrentes la placent au c£ur d’un refrain déstructuré, hypnotique, qui s’auto-consume entre l’Amérique de McCarthy et celle de Marylin Monroe. Valerie à 9 ans, le chewing-gum emmêlé dans les cheveux, violée par son père sur la balançoire. Valerie, brillante chercheuse à l’université devenue clocharde à sacs et vendeuse de sexe. Valerie internée en hôpital psy en train de poser elle-même le diagnostic. Valerie agenouillée au pied de son lit, le corps déjà gagné par les asticots au Bristol Hotel, terminus miteux pour junkies et vieilles prostituées de San Francisco. Baigné d’une persistante odeur de neige sale, de foutre, de soleil ranci, de make-up bon marché, d’eau stagnante et de fantasmes stériles, La Faculté des rêves n’est pas un livre confortable. Plutôt du genre à remuer les tréfonds de l’humain. Mais Sara Stridsberg excelle à lui ajuster une sorte de filtre de surexposition généralisée, menant à des images rendant trop de lumière, à des scènes délavées, brûlées. Poétiques dans leurs derniers reflets. La Suédoise confiait dernièrement:  » Valerie Solanas m’a ouvert une quantité de fenêtres imaginaires: une fenêtre sur le trottoir, une autre sur l’amour et une autre encore, gigantesque, sur la mort.  » A nous aussi, qui avons refermé le livre sur un violent courant d’air.

Y.P.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content