DIRECTEUR DE CASTING AVANT D’ÊTRE UN AGENT INFLUENT, DOMINIQUE BESNEHARD PUBLIE DE PASSIONNANTS MÉMOIRES QUI TRAVERSENT 40 ANS DE CINÉMA FRANÇAIS.

Si on l’a encore vu récemment devant la caméra de Cédric Klapisch dans Casse-tête chinois –l’un de ses 90 rôles au cinéma, celui d’un éditeur pour le coup-, c’est pourtant dans l’ombre que Dominique Besnehard s’est épanoui. Directeur de casting à une époque où le métier existait à peine, il allait, à compter du milieu des années 80, exercer pendant 20 ans la fonction d’agent au sein de la prestigieuse Artmedia. Un parcours qui lui a valu de découvrir Béatrice Dalle et Juliette Binoche notamment, tout en ayant parmi ses client(e)s les Marlène Jobert, Eva Green, Nathalie Baye, Jeanne Moreau, Michel Blanc, Xavier Beauvois ou autre François Ozon. Autant dire qu’ayant attendu la soixantaine pour rédiger ses mémoires avec le concours de Jean-Pierre Lavoignat, ancien de Première et de Studio, ce n’est pas à une mais à plusieurs vies de cinéma qu’il s’attelait. A quoi il conviendrait, pour être complet, d’ajouter celle qui le vit se lancer dans l’arène politique en tant que conseiller de Ségolène Royal lors de la campagne présidentielle de 2007 -rare expérience à lui avoir laissé une certaine amertume.

Mais soit, si d’autres ne s’en seraient pas privés, balancer n’est pas vraiment le genre de la maison. « J’ai la mémoire des belles choses, commence-t-il, alors qu’on le retrouve dans un établissement voisin du Sablon, à Bruxelles. Il y a quelques personnes dont je n’ai pas oublié le comportement à mon égard, mais je voulais que le livre soit sincère, pas malveillant. » Et de glisser, dans un sourire: « Balancer, je le ferai dans un autre livre, dans dix ans, on appellera cela Casino d’été… (rires). » Pour autant, les 484 pages qui composent Casino d’hiver ne sont pas avares d’anecdotes savoureuses -après tout, les caprices de stars ne sont pas que légendes. Et après 40 ans dans le sérail, Dominique Besnehard en connaît assurément un bout sur la question, qui rapporte par exemple, au détour d’un paragraphe, qu’Anouk Aimée, dont il était l’agent, « a quand même refusé des films parce qu’elle n’avait personne pour garder ses chats! ». Ou, dans un autre registre, avoir dû jouer les pompiers, en Israël, sur le tournage de Pour Sacha, d’Alexandre Arcady, parce que Sophie Marceau et Richard Berry ne se supportaient pas…. L’on en passe et de meilleures, auxquelles il a le don de mettre les formes. Ainsi, avec Béatrice Dalle, « mon Vietnam », dit-il un jour, mais à qui l’unit aussi un lien très fort, de l’ordre quasi familial –« la relation, elle est aussi selon le désir de la personne que l’on représente ». Ou encore avec un Maurice Pialat, pour qui il fut acteur sur A nos amours, bien qu’échaudé par son expérience au casting sur Passe ton bac d’abord, lequel n’arrêtait pas de le houspiller: « Tu aurais pu être Peter Lorre, et tu vas passer ta vie à être un casting de merde. »

Eclectisme et élégance

Avec ces souvenirs se dévide aussi le fil d’une vie « tout entière placée sous le signe du spectacle », de l’enfance normande -ses parents tenaient une supérette à Houlgate- à la montée à Paris. « C’était sans doute une époque où il était plus facile de réaliser ses désirs qu’aujourd’hui, où un petit provincial qui rêvait de travailler dans le cinéma pouvait espérer y arriver », écrit Dominique Besnehard. Et de commenter: « Honnêtement, en France, aujourd’hui, c’est compliqué, il y a trop de filtres. Les gens sont injoignables, ils se protègent. Moi, quand j’ai cherché un stage, j’ai écrit à des metteurs en scène, et Michel Deville m’a répondu par lettre manuscrite, il y en a eu quelques autres. Aujourd’hui, on n’a plus le temps. » Encore fallait-il, en plus du désir, s’en donner les moyens. Entré en classe de Régie à l’Ecole de la Rue Blanche, Besnehard débutera auprès de Jacques Doillon, sur Un sac de billes, pour lequel, prélude à une longue collaboration, il fera le casting et les repérages de décors, dans le Sud -mission exécutée en… mobylette, le jeune homme n’ayant pas de permis. Mais aussi l’illustration du fait que, des années 70 aux années 2000, on est passé de « l’artisanat à l’industrie », réalité dont il lui a fallu s’accommoder.

De même, Dominique Besnehard a-t-il veillé à « faire bouger les lignes » -une inclination naturelle, sans doute, et le souvenir, peut-être, de cette époque où il se gorgeait de péplums, films d’horreur et sériez Z dans une salle de Dives-sur-Mer, films populaires qui, avec ceux de Gabin et Fernandel, « ont forgé ma culture cinématographique ». Son parcours défie ainsi les étiquettes, qui l’a vu être directeur de casting de Doillon comme de Claude Berri, de Pierre Granier-Deferre comme de Roman Polanski, passer de Claire Denis à Gérard Pirès, en une sorte de grand écart totalement assumé. Un éclectisme encore à l’oeuvre, d’ailleurs, dans ses choix de producteur, qui le voient soutenir désormais, avec Mon Voisin Productions, aussi bien Charlotte de Turckheim (Mince Alors!) que Raphaël Jacoulot (Avant l’aube) ou Anne Fontaine (Perfect Mothers).

C’est dire s’il reste quelques chapitres à ajouter à une biographie déjà bien touffue. En l’état, elle traduit une formidable boulimie de cinéma, autant que l’amour de ceux qui le font ou qui l’incarnent –« Il faut avoir conscience que les acteurs ne sont pas des gens comme les autres. Ils dépendent du choix d’un metteur en scène et de plein d’autres choses. Ma philosophie, comme agent, c’était de me dire: « Il vaut mieux appeler ceux qui ont des problèmes, dans une journée, que ceux qui réussissent. » La méthode lui a souri, non sans traduire, incidemment, l’élégance du personnage…

CASINO D’HIVER DE DOMINIQUE BESNEHARD, ÉDITIONS PLON, 484 PAGES.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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