DISSIPÉE, LA FUMÉE AUTOUR DU MYSTÉRIEUX PROJET SOUL-DISCO BAPTISÉ JUNGLE: APRÈS DEUX CLIPS QUI ONT FAIT LE BUZZ CES DERNIERS MOIS, LES DEUX PRODUCTEURS TOMBENT LE MASQUE AVEC UN PREMIER ALBUM FUNKY LUXURIANT.

« Vous savez, on est juste des producteurs en chambre. Le fait de sortir de notre home studio, d’avoir cette conversation, c’est déjà insensé. Après, on se fout un peu du jeu de questions-réponses. On a davantage envie d’échanger sur la musique, Internet, la vie, ce qui nous touche… Etablir une connexion, c’est le plus important pour nous. » Voici donc Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland, tous les deux autour des 24 ans. Il y a un an à peine, ils étaient en effet encore enfermés dans leur chambre à bidouiller leurs morceaux. Aujourd’hui, ils sortent un premier album et partent cet été tourner aux Etats-Unis après avoir obtenu une place au dernier festival de Glastonbury. Pas mal… Deux premiers clips ont préparé le terrain et lancé le buzz: Platoon et The Heat. Deux petites bombinettes indie-disco à falsetto, avec références eighties vintage de circonstances (la marque à bandes peut leur dire merci). Les deux vidéos ne disaient cependant pas grand-chose de leurs auteurs: dans Platoon, Terra, six ans, enchaînait les figures de danse hip hop, tandis que The Heat filmait une battle entre deux danseurs black sur roller-skate… Aucune image par contre des deux gusses responsables de la musique.

On le sait, le mystère peut être un excellent teaser marketing. Mais il peut aussi se révéler à double tranchant (quelqu’un se rappelle-t-il de Rhye et de son album, pourtant excellent, sorti l’an dernier?). Aujourd’hui, la consigne est donc claire pour Jungle: dissiper la fumée, « normaliser » un groupe dont les mystères auraient pu faire naître des espoirs et des fantasmes un peu trop grands pour ce qu’il est capable d’endosser. Josh Lloyd-Watson, yeux rieurs, cheveux ramenés en arrière façon Les Sept Samouraïs, justifie: « On n’a rien planifié, ni vraiment caché quoi que ce soit. C’est arrivé avec les premières vidéos. La suite du scénario, ce sont Internet et la presse qui l’ont écrite. » Cela étant dit, le fait de ne pas apparaître dans les clips, ni dans la plupart des visuels du groupe, n’est pas complètement innocent. « C’est une manière de flouter les ego. On n’a pas envie d’être des pop stars. Dès que ce genre d’enjeux arrivent sur la table, cela court-circuite la musique. Cela pollue tout. » Tom McFarland, cheveux ras, regard rêveur, insiste: « Jungle n’est pas une question de personnalités ou de célébrités. On veut que ce soit une idée, une idéologie même, qui comprend la musique, la danse, les visuels… » La preuve sur la plupart des photos de presse ou en concert, où Jungle tient davantage du collectif (un band de près d’une dizaine de personnes).

A cet égard, l’influence revendiquée est Gorillaz, le cartoon band de Damon Albarn. « Pour l’avoir vu sur scène, c’était frappant. Albarn était planqué derrière son piano ou son mélodica. Il prenait parfois le micro mais il n’était qu’un élément parmi d’autres. » Cette volonté d' »anonymat » passe aussi par la voix, moins androgyne que « floue », mélangeant les timbres haut perchés des deux compères. Tom: « Si vous séparez nos voix, cela sonne vraiment merdique, croyez-moi. Mises ensemble par contre, quelque chose se passe. Puis cela donne un sentiment d’unité, de collectif. C’est plus simple de s’y connecter. Personnellement quand j’écoute tout le temps la même voix, je peux me sentir submergé, comme si elle me donnait trop d’infos, et me disait ce que je dois penser, comment je dois me sentir. »

London bromance

Lloyd-Watson et McFarland se connaissent depuis longtemps. Quand il avait dix ans, les parents du premier ont déménagé à côté de la maison du second, du côté de Sheperd’s Bush, à Londres. « Je filais au fond du jardin et escaladait le mur pour aller jouer chez Tom. » Ils partagent leurs passions: le foot (Josh supporte Chelsea, Tom les Queens Park Rangers), le roller-skate et la musique. Dès leur treize ans, ils se retrouvent pour jouer de la guitare acoustique ensemble, avant de rejoindre leurs premiers groupes. On les croise par exemple dans Born Blonde, qui reçoit même les honneurs du Guardian (rubrique New band of the week).McFarland: « On a joué dans pas mal de formations de potes. Mais on y a perdu trop de temps à essayer d’être ce que l’on n’était pas, à se fringuer comme on pensait devoir se fringuer pour être cool ou avoir une chance de se retrouver dans le NME. Tout ça est tellement toxique… En cela, Jungle est ce qu’on a fait de plus honnête. » Un déclic? « L’âge, l’expérience. Il y a un peu plus d’un an et demi, j’ai également perdu de la famille. Cela vous pousse à réévaluer l’importance de certaines choses… Comme réaliser que ce que vous préférez par-dessus tout, c’est notamment vous retrouver dans une pièce avec votre meilleur pote pour faire de la musique. Celle que vous avez envie d’entendre, pas celle que vous pensez devoir faire pour plaire. »

Aussi classique que soit le discours, il est énoncé avec des accents de sincérité qui ne font pas beaucoup de doute. Et si jamais il y avait encore la moindre méfiance, Lloyd-Watson insiste: « Jungle est uniquement une histoire d’authenticité. Et une fuite, pour échapper au besoin permanent de validation, de ce que vous êtes, de ce que vous faites. Peu importe ce que l’on pense de vous. C’est de toutes façons hors de votre contrôle… C’est évidemment facile à dire et on est loin d’être des putains de bouddhistes! (rires). Mais le fait est que les barrières que vous rencontrez sont le plus souvent celles que vous vous êtes vous-mêmes imposées. » Dont acte.

JUNGLE, JUNGLE, 7, DISTR. XL RECORDINGS. EN CONCERT LE 14/08 AU PUKKELPOP, ET LE 8/12, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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