AVEC THE HOUSEMAID, LE RÉALISATEUR SIGNE UN THRILLER VIRTUOSE, REMAKE D’UN CLASSIQUE DU CINÉMA CORÉEN DES ANNÉES 60, ET VÉNÉNEUX TABLEAU DE CLASSES…

De la nouvelle vague de cinéastes coréens apparus à la fin des années 90, Im Sang-soo compte assurément parmi les plus audacieux, postulat affirmé dès Girls Night Out, en 1998, mais aussi les plus talentueux. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un £il à The President’s Last Bang, son quatrième long métrage, un film qui avait fait sensation à Cannes en 2005, et où il recomposait, avec un exemplaire brio, et un sens consommé de l’outrance bien appliquée, les circonstances ayant conduit, en 1979, à l’assassinat du président Park Chung-hee.

Cinq ans et 2 films plus tard, on le retrouve dans un exercice inattendu a priori, puisque le réalisateur, en qui l’on verrait volontiers un iconoclaste, s’attèle, avec The Housemaid, au remake d’un classique du cinéma coréen, le film éponyme réalisé en 1960 par Kim Ki-young. En l’occurrence, la manière importe sans doute autant que la matière -et celle utilisée par Im Sang-soo est assurément singulière, qui emmène le récit du côté du thriller érotique, à quoi il adjoint une étude clinique de milieu sous tensions qu’il poussera bientôt à leur paroxysme. S’il ne récuse pas l’appellation de remake, Im Sang-soo s’empresse d’ailleurs, alors qu’on le rencontre, détendu, dans un jardin cannois, de prendre ses distances avec l’original: « Pour tout vous dire, commence-t-il, si tout le monde, en Corée, adore le film de Kim Ki-young, je ne l’ai, personnellement, pas plus aimé que cela. Mais puisqu’il s’agit d’un film légendaire, ce projet s’est néanmoins révélé être une gageure. Cinquante ans se sont toutefois écoulés, et la société coréenne, comme les mentalités, ont évolué de manière drastique. J’ai donc pu m’en accommoder, et provoquer quelque peu le public par rapport à l’original, sachant qu’il fallait dès lors que le film soit à la hauteur de cette ambition… »

Etude anthropologique

Les changements en profondeur qu’a connus la société coréenne, c’est avant tout au niveau des personnages, et de leurs relations, qu’Im Sang-soo, également scénariste de ses films, les a répercutés. The Housemaid raconte, en substance, l’histoire d’une jeune femme naïve, engagée comme servante par une famille de grands bourgeois, avec qui le maître de maison entame bientôt une liaison. Si, dans l’original, celui-ci en concevait une immense culpabilité, en même temps que le sentiment d’avoir commis une lourde erreur, il en va autrement dans cette nouvelle version qui traduit plutôt l’arrogance et le sentiment d’impunité des puissants – « ces personnes comme l’on en voit aujourd’hui dans toutes les sociétés », observe le réalisateur.

Avec, aussi, pour conséquence, un déplacement de l’objet même du film qui ausculte les rapports de classe à l’aune de la société contemporaine. « De nos jours, la lutte des classes au sens classique n’a plus de sens, souligne Im Sang-soo. La lutte n’est plus interne à une société, elle s’est déplacée. » Et de lui privilégier, dès lors, ce que l’on pourrait rapprocher d’une étude de milieu: « On trouve ce type de multimillionnaires partout dans le monde. En Corée, ils ne constituent qu’un tout petit groupe de gens, qui vivent à l’écart, et mènent une existence secrète. Mais ce sont eux qui dirigent le pays en coulisses, sur le plan politique comme économique. En un sens, on peut considérer The Housemaid comme une étude anthropologique sur les quelques personnes qui dirigent la Corée… »

Observation que l’on peut par ailleurs exporter à loisir, et qui vaut au film une esthétique que l’auteur a souhaité poreuse: « C’est mon sixième film, et si je me suis auparavant concentré sur l’histoire et la société coréennes, je voulais faire de The Housemaid une £uvre universelle. Je ne sais pas d’où m’est venue l’inspiration. Je n’ai jamais vu de maison comme celle-là en Corée, et je pense que, quelque part, mon film a un style européen: n’importe quel multimillionnaire, que ce soit en Asie ou en Afrique, va copier les grandes fortunes d’Europe et vouloir vivre dans ce type de maison, collectionner des £uvres d’art hors de prix, et boire d’excellents vins. » Quant à énumérer des convergences cinématographiques, au voisinage évident avec La cérémonie de Chabrol, Im Sang-soo ajoute l’influence revendiquée de Rebecca d’Alfred Hitchcock et de Gosford Park de Robert Altman.

Reconnaissance internationale

Si, comme ses £uvres antérieures, The Housemaid a été l’objet d’une controverse en Corée, le film y a néanmoins rencontré un joli succès, ses 2,3 millions de spectateurs lui assurant même une place dans le top 10 des productions nationales au box-office annuel. L’effet conjugué, sans doute et dans le désordre, de l’aura persistante de l’original, des qualités intrinsèques du remake, de la présence au générique d’une authentique star, Jeon Do-youn, et d’un érotisme assumé – « les cinéastes gagnent de l’argent en montrant les fesses des actrices, il faut en montrer pour survivre, rigole-t-il. Mais j’ai veillé à tourner les scènes érotiques de façon compacte et artistique. » Mi-sérieux, mi-goguenard, le cinéaste précise envisager une suite qui sortirait cette fois du cadre de la luxueuse propriété pour s’aventurer dans le milieu des affaires; le sujet n’a guère de limites, en effet.

Au-delà, et notamment parce que inscrit moins exclusivement dans la réalité coréenne peut-être, son sixième opus pourrait bien valoir à Im Sang-soo une plus large reconnaissance internationale. Si sa sélection en compétition à Cannes n’a été assortie d’aucun prix, The Housemaid s’est par contre fort bien vendu; jusqu’en Belgique, d’ailleurs, où il est le premier film de l’auteur de Une femme coréenne à sortir. Tout vient à point à qui sait attendre…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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