Fenêtre sur cour

© MARK FITTON

Simplement accompagnée du pianiste Sullivan Fortner, Cécile McLorin Salvant confirme qu’elle est l’une des voix jazz les plus douées de sa génération.

Plus que tout autre genre, le jazz n’a cessé de pratiquer l’art de la reprise. Pas forcément pour bégayer sans cesse le passé, mais bien pour s’en servir comme thème de base qui permet toutes les libertés. Comme si le morceau original était à la fois la limite et le point de départ vers autre chose, à la fois le cadre et l’ouverture: une fenêtre. On veut penser que c’est un peu ce qu’a voulu dire Cécile McLorin Salvant en intitulant son nouvel album The Window. Il est constitué de seize reprises, et d’un original ( A clef, écrit, en français dans le texte, par l’intéressée). Où il est question en grande partie de morceaux issus du Great American Songbook, mais aussi du patrimoine brésilien ou de la chanson réaliste française. Chacun servant de prétexte à Cécile McLorin Salvant pour tourner autour de l’amour, ses effets, ses tourments, ses impasses et ses moments de grâce.

It takes two

Née à Miami, mais élevée en français par un père haïtien et une mère française, Cécile McLorin Salvant s’est imaginée chanteuse d’opéra, avant de bifurquer vers le blues et le jazz. Elle a bien fait. À 29 ans, la chanteuse est l’une des voix les plus intéressantes de sa génération. Premier prix de la Thelonious Monk International Jazz Competition en 2010, elle a déjà remporté deux Grammys: à chaque fois, il s’agissait de récompenser le meilleur album de jazz vocal -en 2016 avec For One To Love, et l’an dernier avec Dreams & Daggers.

Fenêtre sur cour

Sur ce dernier, elle était accompagnée d’un trio piano-contrebasse-batterie. Cette fois, McLorin Salvant se contente d’une formule en duo, sans jamais que l’effort ne sonne minimaliste: accompagnée du fabuleux pianiste Sullivan Fortner, elle fait des étincelles. La liste des morceaux brasse ses obsessions déjà connues pour les années 30, le songwriting de Tin Pan Alley, et Broadway en général (la reprise de Somewhere, tiré de West Side Story). Mais pas seulement. Enregistré à nouveau en partie en live au Village Vanguard, The Window s’ouvre par une relecture du Visions de Stevie Wonder, avant de s’attaquer à One Step Ahead, pas forcément le titre le plus connu d’Aretha Franklin (si ce n’est pour avoir été samplé sur le Ms Fat Booty de Mos Def). Dans le premier cas, le piano propose un contrepoint plus sombre au chant aérien de McLorin Salvant; dans l’autre, il papillonne alors que, raconte la chanteuse, la rupture amoureuse est proche. Le duo ne se contente pas de jouer le contraste. Complémentaire, il laisse aussi régulièrement l’autre s’épancher plus longuement ( I’ve Got Your Number). Sur J’ai l’cafard, popularisé par Damia, l’orgue Hammond suggère l’accordéon musette avant de virer en petit train des horreurs, McLorin Salvant transformant elle-même sa plainte en diatribe hargneuse (une sorcière!, aurait dit Mona Chollet). En toute fin, sur la ballade The Peacocks, le duo est rejoint par le saxophone tenor de Melissa Aldana, pour un morceau de bravoure s’étalant sur une dizaine de minutes, résumant bien à la fois les extravagances de la jeune femme (ses brusques changements de ton), mais aussi une nouvelle simplicité. Vibrant.

Cécile McLorin Salvant

« The Window »

Distribué par Mack Avenue records.

8

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