CHRISTOPHE HONORÉ REVISITE LES MÉTAMORPHOSES D’OVIDE POUR LES INSCRIRE DANS LA FRANCE CONTEMPORAINE. UN FILM AUDACIEUX À FRONT DE MYTHOLOGIE CLASSIQUE, OÙ AU TÉLESCOPAGE DES ÉPOQUES SE SUPERPOSE CELUI DES FORMES ET DES IDÉES.

Christophe Honoré raconte vouloir généralement construire un nouveau projet contre le précédent. A cet égard, on peut difficilement imaginer films plus différents que Les Bien-aimés et Métamorphoses, à la veine romanesque ultra-référencée du premier succédant aujourd’hui la tentation poétique radicale du second, l’inscrivant dans un espace formel et narratif guère fréquenté par le cinéma. Le réalisateur y revisite les Métamorphoses d’Ovide, long poème épique -quinze livres et plusieurs centaines de fables- dont l’écriture débuta en l’an 1. Il en propose une déclinaison à la fois intemporelle et contemporaine, sur les pas d’Europe, jeune lycéenne française faisant le mur pour être initiée par Jupiter, bientôt suivi de Bacchus et Orphée, à la mythologie classique -celle-là même qui accompagne Honoré depuis les bancs de l’école. « J’ai pas mal travaillé sur la mythologie grecque et romaine en tant qu’écrivain, notamment au théâtre, explique ce dernier. Ces histoires ne m’ont jamais quitté. Et si je me méfie de donner une origine au désir d’un film, parce que cela met en jeu des faisceaux beaucoup plus complexes, il y avait la volonté, avec Métamorphoses, de dire qu’on pouvait raviver une mémoire européenne liée à la Méditerranée et la mettre en avant, à une époque où l’Europe semble tout le temps se tourner vers le Nord, que ce soit vers l’Allemagne économiquement, ou vers l’Angleterre pour la culture pop. J’avais la volonté de revenir vers son passé méditerranéen, et d’essayer de voir si ce passé ne constituait pas l’avenir de l’Europe. » Nul hasard, bien sûr, à ce que l’héroïne du film se nomme Europe, ni au fait que le réalisateur ait choisi pour l’incarner Amira Akili, une jeune Française d’origine maghrébine, « plutôt désignée, dans la société hexagonale d’aujourd’hui, comme n’appartenant pas à l’histoire française: une jeunesse métissée, à qui l’on serine qu’elle n’arrive pas à s’adapter à la France, du fait d’une culture musulmane ou maghrébine la privant d’intégration. J’essaye au contraire de dire l’inverse, à savoir que c’est son passé méditerranéen qui la fait incroyablement européenne. »

Projections multiples

S’il y a là une ode imagée à la beauté -celle des corps, célébrés dans leur nudité, comme celle des histoires, trouvant ici une expression vibrante et vivante-, le télescopage des époques invite, en effet, à une lecture allégorique et politique du film. « Le projet d’Ovide de raconter des histoires à partir du concept de la métamorphose peut nous être très utile aujourd’hui, poursuit Christophe Honoré. En un sens, l’Europe est en manque de métamorphoses. Nous sommes dans une période de transition, et l’idée d’acquérir une forme nouvelle me semble assez pertinente pour essayer de comprendre notre époque. »

Au passage, et puisqu’il y est après tout question de rencontres avec des dieux, imparfaits pour le coup, Honoré questionne encore notre rapport à la religion. Et comme les mythes permettent des projections multiples –« on peut lire toutes ces histoires merveilleuses et assez magiques en se les réappropriant de manière très personnelle. Ce n’est pas un hasard si la psychanalyse a défini tous les syndromes de déraillement psychologique à partir des mythes-, s’y greffe encore l’un ou l’autre sujet sociétal, le concept de métamorphose pouvant renvoyer, par exemple, au débat sur le mariage pour tous en France. « On a vu beaucoup de polémiques autour de ce qu’est un homme, une femme, une famille, avec l’idée que chaque individu serait fabriqué de manière permanente dès sa naissance. On ne vit plus comme ça aujourd’hui, nos désirs sont plus mouvants, on change au cours de nos vies. Quand je dis que nos sociétés manquent de métamorphoses, c’est qu’elles ne s’accordent pas au fait que nos vies sont des métamorphoses continuelles. Il faut accepter une impermanence générale. Et on manque aussi beaucoup de merveilleux. » En quoi le film n’est pas avare pour sa part, traduisant les mythes de manière littérale. « J’ai eu envie de m’amuser à raconter vraiment ces histoires », conclut le cinéaste, le plaisir du metteur en scène se révélant hautement communicatif…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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