Durant les sixties, il y avait les Beatles de la pauvre Liverpool, rejetons de cuistot (sur un ferry), d’ouvrier dans une boulangerie et de conducteur de bus. Ou encore les Kinks du quartier prolétaire londonien de Muswell Hill, et toute la finesse d’observation sociale de son chanteur et parolier Ray Davies… Dans les années 70, venu du quartier de Woking, l’une des plus tristes banlieues de Londres, et chaperonné par le père, maçon, de Paul Weller, The Jam se fendait en trois minutes montre en main de commentaires sur l’aliénation, la guerre des classes et l’exclusion… Après les punks, l’enfance à la Zola d’un John Lydon, il y eut Madness et dans un autre genre les Happy Mondays, leaders d’une culture working class droguée emmenés par les frères Ryder, fils de mineurs sortis d’un quartier de Manchester peuplé de chômeurs. On aurait pu tout aussi bien parler de Jesus and Mary Chain, du MC5 et de la ville industrielle de Detroit ou de Kurt Cobain et de son milieu familial (père mécanicien, mère serveuse). L’histoire du rock’n’roll est depuis la nuit des temps liée à celle des classes populaires et ouvrières. Ses racines poussant déjà dans la pauvreté endurée par Robert Johnson et ses pairs bluesmen.

En attendant, Oasis, qui est devenu une parodie de lui-même avant d’exploser en plein vol, est sans doute le dernier groupe étiqueté working class à avoir massivement touché le grand public. D’après la légende, Noel Gallagher aurait d’ailleurs commencé à jouer sérieusement de la guitare après un accident de travail et s’être fait écraser le pied par un gros tuyau alors qu’il bossait pour une filiale de British Gas…

Erodés par l’automatisation et la désindustrialisation, les effectifs de la classe ouvrière vont diminuant. Ils se sont aussi surtout faits de moins en moins visibles sur les scènes médiatique, politique et culturelle. Dans nos sociétés morcelées, de plus en plus individualisées, les grandes concentrations ouvrières sont devenues plus rares, et le sentiment d’appartenance de classe, surtout celui d’être la classe porteuse de l’avenir, s’est désagrégé. Au point qu’on se demande si ces groupes auraient percé à notre époque, ère du vide, des apparences et des télécrochets…

Issus de la classe moyenne, les Arctic Monkeys et leur leader Alex Turner sont à leurs débuts parvenus à décrire avec pas mal de poésie le quotidien de la working class, mais depuis les singes de Sheffield sont passés du statut d’homme du peuple à celui de bricoleurs fiscaux. Même les rappeurs sont rentrés dans le moule et ont oublié leurs origines. Peut-être la crise économique occidentale amorcera-t-elle le changement, le grand retour de jeunes hommes en colère et la naissance d’un nouveau réalisme social et musical…

J.B.

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