Avis de Tempest

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

SUR SON SECOND ALBUM, LA JEUNE POÉTESSE LONDONIENNE SE BRANCHE À NOUVEAU SUR L’ÉLECTRONIQUE POUR RACONTER LE CHAOS DU MONDE ACTUEL. NOIR, C’EST NOIR…

Kate Tempest

« Let Them Eat Chaos »

DISTRIBUÉ PAR FICTION. EN CONCERT LE 11/11 AU REFLEKTOR, LIÈGE ET LE 12/11 AU SONIC CITY, COURTRAI.

8

Nulle part comme en Angleterre le médium pop aime se frotter à la chose politique. De Billy Bragg à The Clash, des Specials à Blur… Même la scène dance, tout occupée soit-elle à provoquer l’extase, n’a jamais été complètement frivole: depuis les idéaux communautaires de la scène rave, en passant par les prises de position de groupes comme Massive Attack.

A 30 ans, Kate Tempest est l’une des dernières arrivées dans cette longue tradition locale. En 2014, son premier album, Everybody Down, avait déjà fait forte impression -au point de se retrouver dans la liste des nominés au Mercury Prize (remporté cette année-là par les Young Fathers, autre entité à haute teneur socio-politique). Depuis, celle qui est aussi poétesse (elle se dit autant fan du Wu-Tang Clan que de William Blake) et auteure de théâtre a gagné le Ted Hugues Prize (récompensant chaque année, en Angleterre, le travail de poésie le plus novateur) et publié un premier roman (The Bricks that Built the Houses). Aujourd’hui, elle sort un second album qui radicalise encore un peu plus le propos. Kate la Tempête.

Sombre, électronique (il est à nouveau produit par Dan Carey), Let Them Eat Chaos est d’abord un disque foncièrement nocturne. Kate Tempest y raconte les états d’âme de sept personnages, captés au milieu de la nuit. Il est très précisément 4 heures 18 du matin. L’heure à laquelle l’obscurité est d’encre: plombée par la fatigue de la veille, pas encore éclairée par les éventuelles promesses du lendemain. A travers les différents protagonistes de son récit, Tempest brasse ainsi les tourments du monde actuel, n’épargnant rien, ni personne. Elle constate le dérapage des élites de plus en plus déconnectées, la toute-puissance de la finance, l’imminence de la catastrophe climatique, le délitement du lien social, l’apathie générale (« even the drugs have got boring« )… L’un des morceaux-charnières du disque s’intitule Europe Is Lost, sorti en single l’an dernier, bien avant donc le cataclysme du Brexit. Il y a un peu plus de 35 ans, les Clash chantaient « London is drowning » (London Calling). Aujourd’hui, Tempest confirme: « The water levels rising! The water levels rising! »

Avec son accent cockney et son goût pour les beats électroniques, entre post-grime et garage, Kate Tempest fait forcément penser au The Streets des débuts. L’humour fendard en moins. C’est aussi un peu la principale limite de l’exercice: à côté de certains traits d’ironie bien tapés (« The squats we used to party in, are flats we can’t afford« , dans Perfect Coffee), Kate Tempest a parfois la sentence un peu lourde. Toujours moins, cela dit, qu’une époque où la caricature semble être devenue la norme. Après tout, si 2016 a pu souvent donner l’impression d’aligner tous les éléments du prochain Armageddon, Let Them Eat Chaos n’en est encore qu’un miroir atténué. Noir, il ne baisse d’ailleurs pas pour autant les bras. « I’m pleading with my loved ones to wake up and love one another« , répète-t-elle en toute fin de disque. L’espoir et le volontarisme, malgré tout…

LAURENT HOEBRECHTS

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