À deux, c’est tout

© VINCEN BEECKMAN

Vincen Beeckman glisse son objectif dans l’intimité collée-serrée d’un couple. Des images pudiques et empathiques qui réparent ce que la vie défait.

 » Cela fait un an que j’ai noué des contacts avec sept-huit sans-abri de la Gare Centrale. Je leur donne des appareils photos jetables pour qu’ils documentent leur quotidien. Certains accrochent à cette démarche, un dialogue a pu s’instaurer« , nous confiait Vincen Beeckman (Liège, 1973) en 2016. On ne le savait pas mais il entretenait déjà des liens avec Claude et Lilly. Coup dur, le couple est alors à la rue. Sans rien perdre de ce qui les lie l’un à l’autre, les deux amoureux passent une année entière sans domicile. Dans son carnet où il consigne tout, le photographe note au mois de mars 2015:  » Suivre leur histoire d’amour« . Dans le même calepin, que Jacques Cerami donne à voir, Beeckman écrit quelques pages plus loin « (…) ils me disent que cela va malgré qu’on ait volé toutes leurs couvertures (police)« , assertion assassine dont la mention entre parenthèses peut faire perdre foi en l’humanité. Fidèle à son habitude, Beckman ne donne pas dans le pathos, il ne traque pas le spectaculaire, juste les plaisirs nains et les petites déconvenues ordinaires du quotidien qu’il saisit au vol au moyen de son Contax, un appareil de poche argentique. Il reste que documenter la romance de Claude et Lilly s’avère compliqué, le couple déménage sans cesse. Beeckman les retrouve dans un appartement du côté de la Porte de Halle. Il leur dépose une photo qu’il leur avait promise, ce que personne ne fait jamais. Cette fidélité à la parole donnée décide les deux tourtereaux à lui entrouvrir la porte de leur intimité. Jusqu’au 6 juin 2018. Jour où Claude appelle Vincen pour lui dire que Lilly est décédée.

Corps en fusion

Ce sont 25 photographies qui sont exposées le plus simplement du monde -juste quatre épingles- à la galerie Cerami. Où que l’on regarde, ce qui frappe, c’est la proximité des deux corps. Toujours Lilly et Claude se touchent, comme si leurs chaleurs leur permettaient mutuellement de tenir le coup dans ce monde. Vincen Beeckman ayant opté pour un cadre pudique et bienveillant, ce sont des détails infimes qui disent une existence pas facile: un gros pull qui circule de l’un à l’autre, un pantalon ouvert, les plis tuméfiés du visage… La société moderne a été érigée de façon telle qu’en tant qu’individus, Claude et Lilly sont interdits de représentation. La porte ne s’ouvre que s’ils incarnent les sans-abri, les miséreux à la dérive, la perte. Les images de Beeckman opère une réparation, elles restituent l’humanité et la dignité de cette femme et de cet homme qui, comme nous tous, ont fait comme ils ont pu. Cet élan culmine dans les quatre images qui clôturent ce que l’on peut voir comme une séquence narrative, entre le moment où Lilly est sur le point d’être embarquée en ambulance et le cliché qui la montre, pantelante, trois jours avant sa mort des suites d’un cancer. Juste avant ce tomber de rideau, une photo accède au registre de tableau quasi religieux: la compagne de Claude s’incarne à la façon d’une Pietà inversée. En la contemplant, on aimerait croire ce que Beeckman murmure, à savoir qu’aucune vie n’est sans conséquence.

Claude & Lilly

Vincen Beeckman, galerie Jacques Cerami, 346 route de Philippeville, à 6010 Charleroi. Jusqu’au 04/05.

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www.galeriecerami.be

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