Viggo Mortensen dans The Road: « J’ai perdu un sacré paquet de kilos pour être crédible »

The Road, de John Hillcoat © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans The Road, de John Hillcoat, Viggo Mortensen campe de saisissante manière un homme tentant de survivre à l’apocalypse

avec son fils pour compagnon. Rencontre.

D’emblée, il annonce la couleur -ou plutôt les couleurs, celles de l’albiceleste, la sélection argentine qui doit en découdre le lendemain avec le Brésil, et dont il arbore fièrement un maillot floqué Messi. Lui demande-t-on qui, de ce dernier ou de Cristiano Ronaldo, est le meilleur joueur du moment, que Viggo Mortensen, qui a passé une partie de son enfance en Argentine, feint l’étonnement – « pas de comparaison, Messi sans hésitation ». Et de s’attarder ensuite sur les mérites comparés du prodige du FC Barcelone et de son entraîneur en sélection, Diego Maradona: « Il est aussi bon. Peut-être y a-t-il un peu de jalousie. Après l’avoir mis sur le banc contre la Russie, Maradona a dit qu’il y aurait toujours une place pour Messi dans cette équipe. Mais ça, c’est ce que l’on dit d’un bon joueur. Quand on dispose d’un élément comme Messi, on bâtit une équipe autour de lui. » On le devine intarissable sur le sujet, mais là n’est pas la raison de sa présence à Venise. Non, si Viggo Mortensen a fait le déplacement de la Mostra, quelques semaines à peine après des rumeurs de retraite anticipée rapidement démenties, c’est pour parler de The Road, adaptation par John Hillcoat du roman de Cormac McCarthy.

Un acte de foi

L’acteur américain y incarne avec sa conviction coutumière un homme qui, dans un monde qu’un cataclysme a laissé dévasté et rendu à la sauvagerie, erre sur une route accompagné de son jeune fils, la survie pour hypothétique ligne d’horizon. Comme souvent, celui qui fut un charismatique Aragorn dans la trilogie des Anneaux laisse une impression indélébile, hantant l’écran de sa présence protectrice mais spectrale. Une prestation habitée, pour un acteur qui confesse une admiration sans bornes pour Marlon Brando et Montgomery Clift – « des génies qui ont réussi à transformer le jeu à l’écran, et qui ont été pour moi une inspiration ». Et qui, dans la plus pure tradition du method acting, a de toute évidence payé de sa personne, apparaissant, pour le coup, singulièrement décharné. « Je ne sais pas combien j’ai perdu de kilos, mais un sacré paquet – il le fallait pour être crédible. J’attribue cela au pouvoir de suggestion: quand il s’agit d’aller chercher un état émotionnel, on se demande comment procéder, tout en ayant la conviction profonde d’y arriver. Jusqu’au moment où quelque chose de mystérieux se produit dans le jeu, et fait que cela fonctionne. Dans un cas de transformation, il s’agit de faire acte de foi, ce n’est plus rationnel. A la fin, je devenais de plus en plus maigre parce que j’étais dans cet état d’esprit. C’est le pouvoir de suggestion: le fait de croire en quelque chose modifie votre apparence à l’écran… »

Plus que sur sa performance d’acteur, Viggo Mortensen préfère toutefois s’attarder sur la portée du film, à travers notamment le lien indéfectible unissant cet homme au jeune garçon, qu’interprète remarquablement Kodi Smit-McPhee. Une relation où la transmission fonctionne dans les 2 directions. « Nous, les adultes, avons beaucoup à apprendre des enfants. Dans mon métier d’acteur, j’aime pouvoir observer le monde d’un point de vue différent du mien. Chaque personnage a son point de vue propre, ce qui vous préserve de vous raidir votre vision du monde: il faut savoir rester flexible pour faire du bon travail. Et c’est quelque chose que font tout le temps les enfants – ils font semblant, ils jouent. Etre acteur me permet de continuer à le faire. » Considération à laquelle s’en greffe une autre: « Les enfants se concentrent plus sur l’immédiat que les adultes, et c’est aussi ce dont parle cette histoire: quand on vous a tout enlevé, il n’y a plus de choix. Il ne reste plus qu’à se préoccuper de besoins essentiels. Cet enfant constitue une raison de rester en vie, mais aussi un rappel constant de ce qui importe vraiment… »

Cette articulation fait le prix d’un film qui s’inscrit, par ailleurs, dans une perspective plus vaste: « The Road fait évidemment écho aux problèmes environnementaux, et au fait que des individus et des gouvernements trouvent toujours l’une ou l’autre raison pour ne pas prendre les mesures qui s’imposent, qu’ils invoquent les menaces pour l’économie, ou se retranchent derrière le fait que d’autres ne le feront de toute manière pas. Le film y fait penser, à travers son dispositif, même si ce n’est pas là son sujet premier. » Constat qu’il ponctue d’une réflexion lucide quoique désabusée: « Nous sommes aujourd’hui bien au-delà du stade critique. »

Arrive, sur ces entrefaites, le moment de se quitter. « Good luck against Spain », lâche-t-il dans un petit sourire. On sait ce qu’il en advint…

Texte Jean-François Pluijgers, à Venise

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content