Laura Bispuri: « J’utilise le cinéma de manière charnelle »

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Cinéaste charnelle, Laura Bispuri filme avec empathie des héroïnes imparfaites, et d’autant plus attachantes, dans Figlia Mia.

La détermination de Laura Bispuri se lit sur son visage comme dans ses gestes et une parole jamais timide. La jeune cinéaste italienne colore aussi son discours d’une émotion palpable, d’une ferveur admirable envers le 7e art et surtout le trio féminin que célèbre son film. Une fille, sa mère et puis cette autre femme dont la présence signale un lourd secret. Charnel, sauvage, irréductible aux clichés mais aussi généreux, empathique, plein d’amour, Figlia Mia mérite le détour par une Sardaigne aux paysages aussi rudes que beaux. Il offre une preuve des plus émouvantes et des plus manifestes de ce pouvoir suprême que possède le cinéma: la capacité d’incarnation. « Je définis mon approche du cinéma comme une approche physique, explique la réalisatrice. Je vise l’incarnation pour les personnages que je crée mais aussi plus largement pour la réalité que je veux rendre palpable. J’utilise la machine à enregistrer qu’est le cinéma de manière charnelle. Déjà durant l’écriture, je vais dans les lieux où se tournera le film, je me nourris de leur réalité physique pour ensuite y inscrire, y ancrer, ma part d’imaginaire. » Si Bispuri a choisi pour cadre à son film la Sardaigne, ce n’est pas arbitraire. « Avec ma coscénariste, nous avons écrit onze versions du script, se souvient-t-elle. Et comme entre chaque version je me rends, seule, sur les lieux potentiels de l’action, je suis allée plus de dix fois en Sardaigne durant les deux ans d’écriture et de préparation. J’ai trouvé là-bas le décor idéal pour développer la dimension d’une tragédie grecque. Et aussi un endroit où l’idée d’une Terre mère est plus qu’une idée: une réalité profondément inscrite dans la culture locale. La Sardaigne offre aussi l’occasion de creuser les questions d’identité. C’est une île. Les gens y affirment d’une part un sentiment identitaire très puissant. Et de l’autre ils sont divisés. Certains habitants veulent s’ouvrir à tout ce qui est nouveau, d’autres préfèrent rester durs et purs dans leurs traditions. Une identité forte, donc, mais constamment remise en question. En fait comme un miroir à ce que vivent les personnages du film… »

Pour incarner Angelica, la réalisatrice a toujours eu en tête Alba Rohrwacher, déjà interprète de son premier long métrage Vergine Giurata (Vierge sous serment) en 2015. « J’avais envie de l’emmener plus loin, avec un rôle à l’opposé total du premier. » Valeria Golino s’est imposée un peu plus tard pour jouer Tina, la mère. « Je l’ai amenée à beaucoup travailler son rapport aux lieux, et aussi utiliser ses origines grecques« , commente celle qui aura trouvé l’interprète de Vittoria, la fillette de dix ans, au terme d’une quête de huit mois. « Sara (Casu, NDLR) est arrivée peu de temps avant le tournage. Elle est sarde mais avec des allures un peu irlandaises, échappant à toute vision stéréotypée de ce coin d’Italie. »

Mère de ses deux mères

Dans le cinéma de Laura Bispuri, rythme et mouvement tiennent une place cruciale. Au point que, quand la monteuse de Figlia Mia a découvert la matière tournée, elle lui a dit: « Mais c’est déjà monté! » « Ce n’était pas vrai, bien sûr, sourit la réalisatrice, mais ce qui était vrai, c’est que les scènes, surtout les longs plans séquences, possédaient toutes leur montage intérieur, organisant l’espace et le temps chacune à leur niveau. Le montage n’en a pas moins été décisif pour créer une structure globale à partir de ces petites structures uniques, et pour offrir aux personnages la plus large expression possible. » Ainsi du rôle de Vittoria, auquel Bispuri voulait offrir une dimension héroïque. « Elle est à mes yeux comme une super-héroïne. L’enfant devient la mère de ses deux mères, après avoir traversé de multiples périls. Elle est forte et libre. Elle est prête à affronter le monde! C’est pourquoi le film s’achève sur une image particulière. La fin du film lui donne tout son sens. » L’image en question est magnifique, nous ne la révélerons pas… On sait gré à la réalisatrice d’avoir maintenu ce cap de la générosité à l’égard de personnages dont l’imperfection, les doutes et les erreurs nous les rendent plus intimement proches encore. « J’aime mes personnages, je les aime d’amour, du plus profond de mon être, conclut la cinéaste. Et je cherche à les faire aimer par les spectateurs. Sans employer la sentimentalité, sans enjoliver les choses, mais au contraire en exposant leurs failles autant que leur force, avec toute l’âpreté que leur parcours de vie contient. Pour ces personnages que j’avais pris par la main pour faire ce voyage, et que je voulais finalement libérer, il m’était impossible de terminer le film autrement que sur une note positive. »

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