A travers Modern Guilt, sa nouvelle sucrerie, le chanteur de Loser plaide coupable.

Chapeau sur la tête, longue tignasse blonde tombant sur les épaules… Deux heures avant son concert, Beck, gentil et introverti, nous accueille dans sa loge de Werchter pour évoquer Modern Guilt, traduisez Culpabilité moderne. Ce neuvième album, court (33 minutes), immédiat, habité, aux relents parfois gainsbourien, le touche-à-tout de Los Angeles a failli ne jamais en assurer la promo. Lassé par les questions sur l’église de scientologie dont il est membre, il a pensé, un temps, ne pas parler à la presse. Le sujet est blacklisté. Le lutin californien de 38 ans a d’autres choses à raconter.

Focus: de quoi vous sentez-vous coupable?

Beck: de tout, de rien. J’ai déjà des remords quand je regarde la télé pendant deux heures. En fait, Modern Guilt résonne en chacun de nous. Quand tu regardes historiquement ce que signifie être un homme, vivre, tu ne peux que te sentir responsable. Responsable de ce qui nous entoure, de ce qui nous arrive. Le gaspillage, la destruction de l’environnement… Nous sommes et restons des pions dans la société de consommation.

Vous êtes souvent à la pointe. Vous aviez travaillé avec les Dust Brothers (Beastie Boys) sur Odelay. Vous avez cette fois bossé avec Danger Mouse (Gorillaz, Black Keys…). Que représentent les producteurs dans votre carrière?

Quand tu pars en vacances, tu as généralement un copilote à qui tu peux confier le volant quand tu es fatigué. C’est plus ou moins la même chose. Lorsque j’entre en studio, j’aime avoir quelqu’un à mes côtés qui puisse m’aider quand je suis médiocre. Quelqu’un qui a des idées, est susceptible de me surprendre, de m’intéresser.

Danger Mouse a une conduite agressive?

Non. Plutôt relax. Il te laisse rester toi-même et te dit franchement quand un truc ne lui plaît pas. J’adore son travail. Ce type sort des trucs incroyables depuis trois ans. Cela en fait quatre que je veux collaborer avec lui mais il est très occupé et fort demandé. Nous avons donc bénéficié de très peu de temps. Quand on s’y est mis, nous avons trimé jour et nuit.

Lorsque vous écrivez vos chansons, vous savez déjà comment elles vont sonner? Si vous en ferez un folk apaisé, un rock déglingué, un funk endiablé?

J’en ai une idée. Guidé par mes sentiments, mes émotions. Mais j’aime laisser une place à l’accident, l’imprévu, la surprise. Cette fois, je voulais enregistrer un disque simple, concis, mélodieux. Je pourrais jouer tous les titres maintenant à la guitare acoustique.

Pourquoi avoir invité Cat Power sur votre album?

Elle possède une voix incroyable. Elle ne tombe jamais dans le maniérisme comme des tas d’autres interprètes. Elle est réelle. Je l’ai rencontrée il y a des années. Pour Modern Guilt, elle était en ville et je lui ai demandé de venir chanter avec moi. Elle avait une heure. Elle a été très vite. Trop vite. Si je l’avais eue plus longtemps à ma disposition, elle aurait chanté sur tout le disque.

Vous avez des regrets après tant d’années, tant de changements de direction?

Je regrette de n’avoir jamais monté un side project et d’avoir toujours tout sorti sous le nom de Beck. A un moment, j’étais très porté sur le punk et je me suis dit: ouvrons un peu l’esprit des gens. En même temps, tu te compliques fameusement la tâche en prenant l’auditeur à rebrousse-poil. Sea Change (2002) a dérouté. J’avais écrit ces chansons depuis dix ans. Je me disais que personne ne voulait les entendre. Je les cachais en quelque sorte. Après avoir sorti quatre ou cinq disques, j’ai réalisé que je pouvais faire quelque chose égoïstement.

Qu’est-ce que vous nous cachez d’autre?

Beaucoup de choses. J’ai d’immenses piles de chansons en stock. Je pense que je vais commencer à produire des artistes et à leur proposer ces morceaux. Je devrais sortir trois ou quatre albums par an pour diffuser tout ce qui prend la poussière à la maison.

A qui donneriez-vous volontiers vos compos?

J’aimerais bosser avec David Bowie. Collaborer à nouveau avec Cat Power. J’ai aussi des trucs sur le feu avec les White Stripes. J’aime l’énergie de Jack White. Il incarne en 2008 ce qu’on aime dans le rock’n’roll. Ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air. Avant, tu ne pouvais pas être une rock star. Jouer du rock passionnément. De mon temps, on devait presque s’excuser de monter sur scène. On devait prendre les choses à la rigolade. Il a changé le cours des choses.

INTERVIEW JULIEN BROQUET

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