Laurent Raphaël

L’édito: Thérapie de couple

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Le couple hétérosexuel a-t-il vécu? Avec l’homme blanc de 50 ans, c’est l’autre cible à abattre pour tous ceux qui remettent en question le patriarcat, et avec lui une répartition binaire du genre humain. En cause: l’incapacité de cette institution à se transformer, à s’exonérer d’une domination masculine -culminant dans le mariage et sa répartition « naturelle » des tâches- et, par conséquent, à accueillir dans ses frontières hétéronormées les nouvelles formes amoureuses, de l’union libre au polyamour en passant par toutes les combinaisons du bouquet LGBTQI+.

Un coup dur pour le modèle conjugal déposé, qui traverse une zone de turbulences depuis une bonne trentaine d’années suite à une crise des vocations d’une part, et à un taux d’échec élevé de l’autre, symbolisé par ce proverbe: mieux vaut être seul que mal accompagné. L’amour dure trois ans, estimait Frédéric Beigbeder dans un roman en 2012, prophétisant à sa manière ironique et désabusée l’obsolescence programmée du lien amoureux au XXIe siècle. Avec à la clé l’apparition de nouveaux états civils plus ou moins volontairement choisis: célibattants, colocataires longue durée, etc.

N’en déplaise aux nostalgiques du ménage soudé « pour le meilleur et pour le pire », la révolution identitaire actuelle fragilise encore un peu plus l’édifice marital, déjà bien ébranlé par la révolution sexuelle. En France, 22% des 18 à 30 ans revendiquent la « fluidité de genre » selon un sondage de l’Ifop publié en novembre 2020. Près d’un quart de la jeunesse conteste donc les balises, les normes, les codes affectifs et sexuels hérités de leurs parents.

Les artistes ne sont évidemment pas sourds à cette évolution des moeurs. En témoigne l’abondante production traitant de ces questions (encore tout récemment avec l’album de Lana Del Rey ou le single d’Adele, tout deux hantés par la rupture, les amours déchus et la rédemption), quand ils ne montrent pas carrément l’exemple comme les soeurs Wachowksi, ex-frères. L’art a du reste toujours été un sismographe des changements dans les modes de vie. Mais si la rupture amoureuse est un classique du cinéma ou de la musique (de La Poison de Sacha Guitry à Kramer contre Kramer de Robert Benton, de I Will Survive de Gloria Gaynor à Forget Her de Jeff Buckley), aujourd’hui, la remise en question traverse tout le spectre créatif. Un exemple: Mare of Easttown, la très bonne série policière HBO. Son personnage principal est une flic un peu bourrue, mais c’est surtout aussi une mère célibataire déprimée qui ne fait plus confiance aux hommes, situation d’autant plus compliquée à vivre que son ex habite la maison d’à côté.

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C’est comme si une forme d’intranquillité gangrenait désormais les relations sentimentales cisgenres, même les mieux assorties. Une allusion au titre du film de Joachim Lafosse qui n’est pas anodine. Cette radioscopie à fleur de peau d’une famille dont l’harmonie est rongée par la bipolarité du conjoint illustre bien les tourments et les questionnements du couple moderne. Ici, c’est la maladie mentale le détonateur, mais ce pourrait être aussi bien une manie exaspérante de l’un ou de l’autre, des mini-agressions répétées ou des attentes divergentes. Les différends qui hier étaient ravalés au nom de l’union sacrée et de la moralité deviennent des épines dans la chaussure qui risquent à chaque pas de provoquer la chute.

Scènes de la vie conjugale, remake où Hagai Levi remet au goût du jour le classique d’Ingmar Bergman, ausculte avec brio et au plus près ces tensions qui menacent d’implosion un couple idéal. Un changement de paradigme résumé dans le dialogue de sourds entre Jonathan et sa mère au début du cinquième et dernier épisode, alors qu’il tente de lui faire admettre qu’elle doit être soulagée de ne plus subir l’emprise de son mari, tout juste décédé. La mère affirmant au contraire qu’elle n’a jamais cessé d’aimer son mari « à sa manière« , renvoyant son fils à l’échec de son propre mariage, dynamité au nom de la liberté individuelle et d’un illusoire bonheur, sans penser aux conséquences sur l’enfant. De là à donner raison aux Rita Mitsouko, qui affirmaient déjà en 1986 que « Les histoires d’amour finissent mal… en général« …

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