Critique | Cinéma

[le film de la semaine] Les Intranquilles: l’amour à l’épreuve

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Joachim Lafosse confronte un couple à la bipolarité et questionne les limites de l’engagement amoureux dans un film magnifié par ses comédiens.

C’est d’abord un son, le flux puis le reflux des vagues, annonciateur de la houle à venir, celle qui voit Damien (Bonnard) passer de l’hyperactivité débridée à l’abattement le plus complet, Leïla (Bekhti), sa femme, tentant vaille que vaille de maintenir le navire familial à flots sous le regard de leur fils, Amine (l’excellent Gabriel Merz Chammah, fils de Lolita Chammah et petit-fils d’Isabelle Huppert). Là, justement, alors qu’ils séjournent à la mer, il vient de confier au gamin le soin de ramener seul le bateau, lui rentrera à la nage. Si l’on sent bien un soupçon d’inquiétude chez Leïla alors qu’il se fait attendre, il se dissipe bientôt, pour un temps tout au moins. Damien n’en a en effet jamais assez, lui que l’on retrouve au milieu de la nuit en train de réparer des cyclomoteurs, avant d’annoncer à son galeriste qu’il lui peindra 40 toiles en autant de jours, puis d’enchaîner des longueurs dans la piscine et, tant qu’à faire, de se lancer dans la préparation chaotique du repas, le tout comme dans un tourbillon. Et si Leïla tente bien d’y mettre un frein, c’est pour s’entendre rétorquer: « Je suis en forme, c’est tout« . Un insert discret renvoyant au service psychiatrie d’un hôpital plus loin, et on les retrouve dans leur quotidien: lui dans son atelier, mettant la dernière main à une toile; elle, restaurant des meubles. Et s’attelant à préserver un équilibre précaire mis à l’épreuve d’une bipolarité expédiant son mari de montées maniaques en plongeons dépressifs, états changeants dont la répétition pèse, à force, sur leur amour…

[le film de la semaine] Les Intranquilles: l'amour à l'épreuve

Zones de friction

La cellule familiale constitue, depuis ses débuts, le coeur du cinéma de Joachim Lafosse, passé maître dans l’exploration des zones de friction -ainsi, par exemple, de À perdre la raisonou de L’Économie du couple. Il n’en va pas autrement aujourd’hui des Intranquilles, une oeuvre inspirée de ses propres souvenirs d’enfance (le père du cinéaste est bipolaire), dont il a l’intelligence de ne jamais faire un film sur une pathologie, mais bien sur l’engagement amoureux et ses limites éventuelles. Et de rester obstinément au plus près de ce couple et de leur enfant, orchestrant un mouvement de balancier où, à l’euphorie incontrôlée de l’un correspond l’inquiétude croissante de l’autre, tous deux également intranquilles tandis qu’ils s’engagent dans des montagnes russes émotionnelles. Il fallait un duo de comédiens d’exception pour traduire ce maelström de sentiments. Dans des rôles complexes, Damien Bonnard et Leïla Bekhti vibrent devant la caméra, refusant la facilité comme la performance pour s’abandonner à ce couple qui s’échine et s’épuise à vouloir s’aimer encore. Jusqu’à libérer une émotion aussi profonde que bouleversante, achevant de faire des Intranquilles une réussite majeure.

[le film de la semaine] Les Intranquilles: l'amour à l'épreuve

De Joachim Lafosse. Avec Damien Bonnard, Leïla Bekhti, Gabriel Merz Chammah. 1 h 58. Sortie: le 06/10. ****

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