En visite chez TAT Productions, les studios toulousains de Pattie et la colère de Poséidon

Le joyeux bestiaire qui fend les mers pour affronter mille dangers dans Pattie et la colère de Poséidon. © TAT productions/Apollo Films Distribution/France 3 Cinéma
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Long métrage en animation 3D par ordinateur, Pattie et la colère de Poséidon a été confectionné avec soin et amour chez TAT Productions à Toulouse. Visite guidée.

Les As de la jungle, Terra Willy, planète inconnue, Pil… Les affiches des longs métrages de TAT Productions recouvrent les murs de l’entrée du studio, labyrinthe de grands plateaux où s’alignent des armées d’ordinateurs. Nous sommes à Toulouse, en janvier, en plein cœur de la ville ou presque. Société fondée par Éric Tosti, David Alaux et Jean-François Tosti à l’automne 2000, TAT Productions signe d’abord des courts métrages, des publicités et des films de commande avant d’ouvrir, en 2007, son propre studio d’animation dans la ville rose. Le trio se lance alors dans la production de l’unitaire télévisé Spike et sa série dérivée, Au pays du Père Noël, avant de sortir, toujours pour le petit écran, Les As de la jungle: Opération banquise, délire séminal contant les aventures de Maurice le pingouin-tigre et son improbable bande de super-justiciers qui sera ensuite décliné dans deux séries et plusieurs unitaires. Le succès de ces programmes télévisés, couverts de récompenses, ouvre naturellement à TAT la porte de son graal de départ: le cinéma. En 2017 sort ainsi Les As de la jungle, le long métrage, qui fait un joli carton, avec plus d’un million d’entrées à l’international. Depuis, la success story a pris son rythme de croisière, régalant un public essentiellement familial d’un film tous les deux ans…

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Pour l’heure, et à quelques semaines à peine de la sortie de Pattie et la colère de Poséidon dans les salles, on a l’effervescence plutôt tranquille chez TAT Productions. Dans le bureau où nous accueille Jean-François Tosti, co- scénariste et co-producteur du film, trônent humblement quelques trophées, dont un très prestigieux Emmy Kids Award ramené de New York. Spécialisé dans l’animation 3D par ordinateur, l’endroit accueille, en tout, plus de 230 travailleurs. La plupart sont des intermittents, même si quelques dizaines jouissent du statut de salariés. Ici, comme dans tout studio d’animation digne de ce nom, la méthodologie de travail est hyper segmentée, avec un étoilement de départements spécialisés œuvrant chacun dans leur bulle sur des étapes très spécifiques des films.

Travail à la chaîne

Chez TAT, un long métrage prend généralement deux ans d’écriture. Puis trois ans de production. Soit, environ, un an et demi de préparation des assets, c’est-à-dire tout ce dont on a besoin pour fabriquer le film (storyboard, animatique, recherches graphiques, modélisation…), puis six mois d’animation pure (on va y revenir), et enfin un an de finitions: éclairage, rendu, compositing et travail sur le son… Sachant, bien sûr, que le studio a toujours plusieurs casseroles sur le feu, avec des départements qui, en fonction de leur spécialité, travaillent donc sur différents projets au même moment.

Le jour de notre visite, trois projets cinéma mobilisent les troupes. Le département de recherches graphiques est occupé à plancher sur des nids pour Love Birds, comédie romantique avec des oiseaux dont l’atterrissage est prévu pour début 2026. Le film sera précédé, dans le calendrier, de la sortie de Pets on a Train, en 2025, dont la pré-production vient également d’être lancée, avec une équipe spécialisée dans le traitement du poil mise à contribution pour étudier la couleur, la densité, la longueur de celui de chacun des animaux concernés par l’aventure du film. Chez TAT, on l’aura compris, chaque détail compte et est traité par des artistes spécifiques qui travaillent sur leurs ordinateurs dans un véritable esprit artisanal. Plus loin, enfin, on s’affaire sur la finition des As de la jungle 2, qui sortira déjà en août prochain, avec l’étape cruciale de l’éclairage. C’est-à-dire qu’il va falloir venir placer, dans des scènes à l’animation déjà finalisée, des projecteurs virtuels, avant de demander à un ordinateur hyper puissant de calculer l’impact de la lumière sur tous les objets et les personnages qui s’y trouvent. Avec l’idée de reproduire le plus fidèlement possible ce que verrait l’œil humain dans un environnement réel.

Les animateurs au travail chez TAT: chaque personnage du film se décompose en un squelette de boîtes ou contrôleurs qui permettent de diriger les différentes parties de son corps.
Les animateurs au travail chez TAT Productions: chaque personnage du film se décompose en un squelette de boîtes ou contrôleurs qui permettent de diriger les différentes parties de son corps. © dr

Un autre projet est, par ailleurs, en cours de travail chez TAT, et pas des moindres: la série animée Astérix et Obélix: Le combat des chefs d’Alain Chabat. Soit cinq épisodes de 30 minutes chacun qui doivent débouler sur Netflix en 2024. On se souvient qu’à l’époque, Chabat avait flashé sur Le Vœu, l’un des tout premiers courts métrages réalisés par David Alaux et Éric Tosti, et que celui-ci avait été retenu en avant-programme d’Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre dans les salles. Cette fois, Alain Chabat a décidé de s’en remettre pleinement au savoir-faire des Toulousains pour concrétiser sa nouvelle idée fixe. Mais ça, nous prévient-on, c’est secret défense. “Interdiction formelle de faire des photos ou de filmer. Et on ne peut vraiment rien dire.” On jette furtivement un œil au-dessus de quelques paires d’épaules occupées à bosser et puis on s’éclipse. Motus.

Humain après tout

Un détour par les plateaux dévolus à l’étape de l’animation 3D en tant que telle permet de mieux en saisir les mécanismes. Ici, on bosse sous Autodesk 3ds Max, logiciel commun à beaucoup de studios et au sein duquel toute une série de petits outils pratiques sont développés en interne pour garantir un travail plus rapide et efficace. “Chez TAT Productions, se gargarise Jean-François Tosti, notre spécialité n’est pas tellement d’inventer des technologies à proprement parler, mais bien d’inventer des moyens d’utiliser au maximum de ses possibilités ce qui existe déjà.” Ainsi, par exemple, d’énormes librairies ou banques de données qui sont pré-créées par les animateurs en chef du studio au sein du logiciel et qui contiennent déjà des dizaines d’attitudes corporelles, d’expressions faciales, de poses de main, etc., pour chacun des personnages du film déjà modélisés en amont. Aux animateurs, ensuite, de venir puiser dans ces véritables mines d’or pour faire bouger au mieux les personnages dans les décors.

Chaque personnage se présente sous la forme d’un squelette truffé de petits contrôleurs et sous-contrôleurs qui se rapportent à toutes les parties du corps, jusqu’aux plus infimes. L’un va permettre de contrôler un doigt, tel autre un sourcil, une oreille ou une jambe, les animateurs définissant ainsi, pour chaque scène, un nombre impressionnant de poses différentes qu’ils vont demander au logiciel d’enchaîner pour créer du mouvement. Sachant que le logiciel va relier très mécaniquement une pose à une autre, sans forcément impulser un mouvement naturel, par exemple. C’est donc aux animateurs qu’il revient de venir réintroduire ensuite une intention plus réaliste au mouvement, et donc de réinjecter de l’humain, du créatif, dans un processus sinon purement informatique. Chaque animateur a ses spécificités et ses points forts. Certains peuvent être plus à l’aise dans l’émotion, d’autres dans l’action. Ils peuvent avoir plus de 70 contrôleurs à faire bouger pour chaque pose rien que pour le visage d’un personnage, leur quotidien évoquant bien souvent celui de fourmis au travail. Pour chaque animateur, il faut ainsi compter moins de 5 secondes d’animation finie et validée sur toute une journée…

Les animateurs au travail chez TAT: chaque personnage du film se décompose en un squelette de boîtes ou contrôleurs qui permettent de diriger les différentes parties de son corps.
Les animateurs au travail chez TAT Productions: chaque personnage du film se décompose en un squelette de boîtes ou contrôleurs qui permettent de diriger les différentes parties de son corps. © dr

L’enfance de l’art

Et le réalisateur dans tout ça? En termes créatifs, il est tenu d’imprimer sa patte en amont de l’animation proprement dite. Tout se joue en effet pour lui au moment du storyboard et de l’étape qui suit, celle de l’animatique. Ce sont les deux étapes où le scénario écrit se trouve une forme visuelle et où les choix de narration sont posés pour de bon. Tout va y être dessiné (la qualité du dessin importe peu à ce stade) et surtout découpé très précisément, le réalisateur choisissant les angles de vues et les valeurs de plans. C’est la maquette qui va servir de moule définitif au long métrage à venir. Ensuite, les choses filent dans les mains des animateurs, et le réalisateur passe alors son temps à valider ou non les choses qu’on soumet à son regard. Il devient le gardien du bon déroulement du projet, celui qui veille à ce que tout le monde œuvre dans le sens de sa vision globale et originelle du film.

Dans le cas de Pattie et la colère de Poséidon, production à 10 millions d’euros (20 fois moins que le budget d’un Pixar, donc) où une petite souris bricoleuse et débrouillarde de la Grèce antique tente de ramener la mythique Toison d’or dans sa ville, c’est David Alaux qui, non content d’avoir cosigné le scénario du film, était en charge de sa réalisation. L’idée de ce long métrage lui est venue de sa passion pour le cultissime Jason et les Argonautes de Don Chaffey, film de 1963 resté célèbre pour les fameux effets spéciaux de Ray Harryhausen. Il se souvient: “C’est au fond le film qui, à l’origine, m’a fait m’intéresser à l’animation. Petit, je n’en revenais pas, je voulais comprendre comment ils arrivaient à donner vie à tous ces monstres et ces squelettes. Mon père faisait bouger des petites lettres magnétiques sur le frigo de la cuisine pour faire les titrages de vacances sur les films Super 8, et il m’a expliqué que c’était ça le principe de l’animation. Alors, avec Éric et Jean-François Tosti, au collège, quand on avait 13 ans, on a commencé à faire des petits films en Super 8 avec des marionnettes sur ce principe. Et la base de notre inspiration venait de ces grands films d’aventure: Jason et les Argonautes, Le Choc des Titans, Le Septième Voyage de Sinbad… Tous ces films dont les effets spéciaux fonctionnaient à l’animation image par image. Avec Pattie, il y avait vraiment cette envie commune et cette évidence à nous tourner à nouveau vers ces univers-là pour y raconter une histoire bien à nous.” Un vieux rêve de gosses devenu réalité, en somme.

Pattie et la colère de Poséidon

Dès l’entame, on nous l’annonce fièrement: “Votre film a été fabriqué en Occitanie.” Nouveau long métrage des Toulousains de TAT Productions, Pattie et la colère de Poséidon s’inspire du fameux mythe de la quête de la Toison d’or par Jason et ses Argonautes pour raconter l’histoire d’une petite souris d’une prospère ville portuaire qui rêve de devenir une grande héroïne en formant un équipage à même de lui faire vivre l’une des plus belles aventures que la Grèce antique ait jamais connue. “Les héros sont des humains grands et forts, Pattie. Pas juste une petite souris comme toi.” Et pourtant… Flanquée du matou pleutre qui l’a adoptée, la voici bientôt qui fend les mers pour affronter mille dangers et autres créatures mythiques qui peuplent son parcours: cyclopes, hydre, bébé kraken… À l’exception peut-être de l’une ou l’autre fausse note (dans les choix musicaux et l’esthétique de l’Olympe, notamment), ce joyeux cocktail animé d’humour et d’action remplit haut la main son contrat familial, et glisse même pour les grands une référence au Parrain de Coppola ou à la traditionnelle séquence bricolage de L’Agence tous risques. Sympathique.

De David Alaux. 1 h 36. Sortie: 08/02. 7

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