Bienvenue au B.U.N.K., repaire bruxellois de l’underground (et du Magasin 4)

Trois étages multifonctionnels pour une fourmilière culturelle dédiée à l'underground. © dr
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Bureaux du label Exag’, studios de répète et d’enregistrement, espaces de concerts, ateliers de luthier, de photo et de vidéo… À Anderlecht, le B.U.N.K. et le Magasin 4 prennent leurs quartiers.

Anderlecht, 3 rue de la Petite Île. Quelques coups de marteaux résonnent depuis les fenêtres ouvertes de bureaux abandonnés. Les lieux auraient jadis été occupés par une entreprise de VHS ou de caméscopes avant de servir à stocker des décors de cinéma. Aujourd’hui, derrière la façade brutaliste couchée sur trois étages rez-de-chaussée compris, des musiciens de la scène bruxelloise reconvertis en Bob les bricoleurs s’activent dans le gigantesque ventre de la bête. Ils y aménagent des locaux de répétition et des studios d’enregistrement. Les lieux sont en chantier mais certaines activités sont déjà opérationnelles. Comme les ateliers de lutherie, de réparation d’amplis et de meubles ou encore les bureaux du label Exag’.

Longs cheveux ondulés, grandes boucles d’oreille, dégaine indéniable de rocker, Valentino Sacchi fait visiter les lieux. Le chanteur et guitariste de Warm Exit est l’un des initiateurs du projet. “À la base, je voulais un endroit pour répéter et développer mes activités musicales. On avait depuis trois ou quatre ans notre studio au CityGate, juste en face, géré par Entrakt (un activateur d’immeubles vides, NDLR). On y avait construit un local dans le même genre qu’ici. Une boîte dans la boîte, sur silent blocs. Mais l’occupation avait une date de péremption. En plus, je voulais que la scène musicale bruxelloise en profite. Bref, je savais qu’il fallait bouger. Trouver autre chose mais en évitant les intermédiaires inutiles. Trop souvent, l’artiste veut louer un petit espace pour lequel il ne gagne pas de pognon et se retrouve à devoir raquer parce qu’un tas d’intermédiaires prennent leur commission.

Trois étages multifonctionnels pour une fourmilière culturelle dédiée à l’underground. © dr

Alors Valentino est directement remonté à la source, chez Citydev, l’organisme public en charge du développement urbain de la Région de Bruxelles-Capitale. Et plus particulièrement sa cellule Occupation temporaire. “J’ai expliqué qu’il y avait une scène underground à Bruxelles hyper vivante qui ne demande que de l’espace. Sans devoir se mettre la corde au cou ou se retrouver avec des vols, des pannes électriques et des fuites partout… Ce qui n’est pas super inspirant point de vue créativité. Je voulais ouvrir un endroit où tout est mis en place pour que ce soit au plus chouette, au plus sain, au plus convivial. Puis surtout qu’il y ait déjà une dynamique de création dans les lieux.

Valentino, dont le paternel gère le Rockerill à Charleroi (les chiens ne font pas des chats), a visité des entrepôts à Schaerbeek et à Anderlecht, un centre de tri postal qui va bientôt fermer ses portes ou encore les sous-sols de la gare du Midi. “Ce côté recyclage de bâtiments existe à Paris, Londres ou encore Berlin depuis longtemps. Mais avec la pression immobilière, ce genre de lieu est maintenant situé à 40 ou 50 minutes à pied des centres-villes. Ici, on est encore dans un début de processus. À un kilomètre et demi de la gare du Midi. Et ce sont des sociétés publiques qui font en sorte que ça puisse exister. Je nous ai vendus comme un collectif d’artistes qui gravitent autour de la musique; qui sont dans la production et la diffusion musicale. Des ingés son et des groupes qui cherchaient un lieu où s’installer. Éventuellement pour y organiser des concerts.

Valentino Sacchi (troisième à partir de la gauche): “L’idée est de s’intégrer dans le quartier. On ne fait pas une teuf dans un entrepôt sous des habitations en se foutant des gens qui vivent autour.”
Valentino Sacchi (troisième à partir de la gauche): “L’idée est de s’intégrer dans le quartier. On ne fait pas une teuf dans un entrepôt sous des habitations en se foutant des gens qui vivent autour.” © dr

Il a embarqué dans l’aventure Valerian Meunier (Phoenician Drive) et Grégory Noël (du label Exag’), avec qui il avait essayé de lancer une initiative similaire il y a quelques années au Circularium, dans les anciennes carrosseries D’Ieteren. “D’autres gens avaient décroché la gestion du site et heureusement. Parce que le Covid est arrivé juste après. On aurait coulé comme des bleus. Puis, cet endroit-ci est plus intéressant et a davantage de potentiel. L’idée, c’est juste de bypasser des étapes qui ne sont pas nécessaires dans la location de bâtiments industriels à des fins artistiques ou socio-culturelles. Si on te demande 10 euros le mètre carré pour un bâtiment qui en fait 4 000, ça veut dire 40 000 euros par mois à débourser. C’est déjà la fin du projet…” “Des prix plus qu’abordables vont clairement soulager les artistes, s’enthousiasme Greg Noël. À nos tarifs, tu ne dois pas faire des masses de concerts pour payer ton loyer. Ça balaie tout le côté anxiogène de la réalité financière des musiciens.

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L’art de la récup

Le tout, c’est que ces lieux abandonnés, il faut les aménager. Et que ce n’est pas évident quand on est fauché. La première étape fut de trouver des matériaux. “Je savais qu’il y avait des réseaux de récupération à Bruxelles, détaille Valentino. J’en ai contacté plein. Et je me suis rendu compte qu’un tas de bâtiments voués à être démolis, détruits et tout leur contenu avec eux ne pouvaient plus l’être. À la place, il fallait faire du démontage. Et donc de la récupération quelque part.” “Quand tu lances un projet de zéro, tu ne bénéficies pas de fonds et de subventions publics, explique Greg Noël. Tu n’as pas encore réussi à montrer l’intérêt qu’il pourrait créer. Même avec les meilleurs arguments et la meilleure volonté du monde, tu es confronté à des doutes. Mais, il faut dès lors trouver des alternatives. Les gars ont passé juillet, août et septembre à récupérer des matériaux. Ils ont enfilé des chaussures de sécurité et ils y sont allés.

Valentino raconte: “Je débarquais sur des chantiers de De Meuter avec une bande de zicos et leurs casques de toutes les couleurs. Parce que notre main-d’œuvre, c’est évidemment les gens qui ont un intérêt dans le projet. Les boîtes qui font de la récup’ et du démontage revendent généralement les matériaux après. Moi, c’est pour financer une chouette initiative. Il y a un truc intéressant à faire valoir. Puis, je ne viens pas avec un ou deux travailleurs pour vider un étage en deux mois. Je débarque avec dix ou quinze mecs ultra chauds qui vont te démonter un étage en trois jours. Tous les panneaux que tu vois autour, les vitres, les châssis, les lampes… Tout vient de la récup’.” Il va bientôt falloir recharger, le stock se tarit. “On a essayé de budgétiser. On arrive rapidement en faisant les comptes à 20 000-30 000 euros de matos récupéré, reprend Greg Noël. C’est une sacré somme. Surtout quand on ne l’a pas. Maintenant, il reste quelques challenges. Des coûts sur lesquels on ne pourra pas faire de récup’.”

Les rois et reines de la récup’ au travail.
Les rois et reines de la récup’ au travail. © National

Multi-services

Au B.U.N.K., pour Brussels Ultimate Noise Klub, vous trouverez des ateliers de plasticiens, de photo, de vidéo, de design textile. Vous découvrirez surtout un lieu de musique rock’n’roll mais pas que, fréquenté par la scène alternative underground bruxelloise. Phoenician Drive partage un local avec Milk TV et Azmari. Why The Eye? avec Avalanche Kaito et Gut Model… Vous avez aussi de grandes chances d’y croiser (Magic) Max Poelmann, Rafael Espinel (La Chiva Gantiva, Steffig Raff) ou encore Laurent Macchi (Lona Sparck). Une bonne partie des groupes sont liés à Exag’… “Nous, notre structure, on la voyait de base comme une sorte de gros collectif plus qu’un label classique qui sort des disques, explique Greg Noël. On bosse avec les artistes. On fait du management, du booking, de la production, de la distribution. On est vraiment multi-services. C’est comme ça qu’on aime voir les choses. Avoir un lieu où on peut échanger et vivre avec eux au quotidien fait totalement sens. Quand une idée sortira, on pourra directement la mettre sur la table et passer à l’action. Tout ira plus vite. Ça va créer des synergies. Mener à des rencontres, des splits, des collabs, des featurings.

Les rois et reines de la récup’ au travail.
Les rois et reines de la récup’ au travail. © dr

Zones chill, canap’, kitchenettes, billard de récup’… L’endroit est conçu pour favoriser les échanges. “Je tiens à ce qu’une dynamique se crée, insiste Valentino. Je veux que le photographe puisse bosser pour les groupes, que les groupes puissent se refiler des plans de tournée.” Ils envisagent déjà notamment l’achat groupé d’un van. “Ceux qu’on a sont trop vieux. Ils ne rentrent plus dans un tas de villes.”

Valentino a aussi prévu au rez-de-chaussée un espace de concerts (avec son bar) pour des petits et moyens groupes. Une jauge de 100-150 personnes qui accueillera une programmation similaire à celle qu’il proposait depuis quelques années au Café Central. “Mon désir, c’était de pouvoir continuer à programmer les copains d’ici et d’ailleurs, leur permettre de profiter d’une chouette petite scène à Bruxelles.

À l’arrière, il y en a une autre, nettement plus grande celle-là (500 personnes max), occupée par le Magasin 4 qui l’inaugure ce samedi 2 mars avec Milk TV, les Slugs et Miss Tetanos. “Suite à la fin de notre occupation temporaire à l’avenue du Port et en attendant notre nouveau bâtiment qui ne sera pas terminé avant le milieu de l’année prochaine au plus tôt, on se retrouvait sans lieu, explique Christophe Masson, l’un de ses administrateurs. Ça aurait été con l’année de nos 30 ans.

L’équipe du Magasin 4 a donc retroussé une fois de plus ses manches. Il a fallu refaire l’électricité, la plomberie, construire une scène, un bar, des toilettes. “C’est pas mal d’investissement en énergie et en temps. Sans notre annif, on aurait peut-être laissé tomber. Mais la Ville, qui s’était engagée à ce qu’on n’ait pas de cessation d’activité, nous a aidés. On n’abandonnera pas nécessairement les lieux quand on ouvrira de l’autre côté. On verra ce qu’il est possible de développer. Quand c’est du temporaire de dix ans, il y a moyen de faire des choses. Ça fout toujours les boules à la destruction évidemment. Mais l’occupation temporaire est temporaire. Faut juste en être conscient et ne jamais l’oublier.

3 questions à Benjamin Cadranel, administrateur général de citydev.brussels

Quelle est la philosophie de la cellule Occupation temporaire de Citydev?

Citydev fait de la régénération urbaine avec des projets immobiliers soit résidentiels, soit d’activité économique. Ils sont complexes et nécessitent énormément de temps. Obtenir les financements et les permis prend entre dix et quinze ans. Ma source d’inspiration personnelle, c’est Couleur Café. Si l’événement permettait sûrement aux propriétaires des lieux de gagner un peu d’argent ou de minimiser leurs frais, il faisait aussi la publicité de l’endroit et était utile à la ville. On s’est dit qu’on allait faire de même avec les lieux de notre patrimoine en développement. Parce que quand il ne s’y passe rien, il faut quand même dépenser de l’argent pour les gardienner, les gérer. Et il y a des impôts à payer. Alors, on essaie de remplir des fonctions qui ne sont pas remplies ailleurs. Qu’il s’agisse d’accueillir des activités culturelles, des petits artisans ou de l’hébergement d’urgence. En gros, on fait de la rénovation urbaine immédiate. On n’attend pas quinze ans, on commence maintenant. Ces occupations temporaires ont un côté laboratoire et permettent d’essayer des choses. Comme il s’agit de grands bâtiments, elles tendent à la multi-activité et elles peuvent être transbordées parce qu’on a toujours du patrimoine en développement.

Quelle est la part des occupations liées au milieu culturel en général, musical en particulier?

En 2023, on a répertorié 158 occupations temporaires chez Citydev. Mais ça reprend aussi bien quelqu’un qui loue un box de garage pour entreposer du matériel que des bâtiments de 20 000 mètres carrés, aussi bien la location de bureaux vides pour un tournage que de l’événementiel à vocation culturelle. En pourcentage absolu -j’entends par là nombre de projets-, on est entre 4 et 5% affectés à la culture. Mais le Studio CityGate compte pour un seul alors que c’est autre chose en termes de surface et de moyens humains. Le Fuse est venu s’y installer quand il a connu quelques petits soucis dans le centre-ville. Couleur Café y a fait son édition Covid. Il abrite aussi le Volta, qui déménagera bientôt à LionCity, sur l’ancien site Delhaize. Antidote était au début un restaurant avant de s’orienter vers des soirées musicales (Antitapas). Chez nous, sur le site Gosset, on a à un moment accueilli des soirées électroniques qui se déroulaient le dimanche soir. Ça peut mener à des choses surprenantes. Des ouvriers de notre pôle Intervention technique ont quand même retrouvé des jeunes gens nus dans le monte-charge un lundi matin. Je pourrais aussi évoquer des expositions d’art, un centre culturel brésilien, des cours de céramique. Ça part dans tous les sens et c’est formidable.

Vous ressentez une hausse de la demande avec la pression immobilière et la fermeture annoncée d’endroits comme celui de la Dyle, où répètent beaucoup de musiciens?

Je pars de l’idée inverse: c’est nous qui sommes heureux de pouvoir ouvrir toute une série d’espaces à d’autres activités. Parce que la ville en a besoin. La culture exerce clairement un effet d’attraction. Mais on ne veut pas que du culturel. Parce le but n’est pas d’installer des événements branchés dans des quartiers difficiles. On veut qu’il y ait aussi des projets sociaux par exemple. On essaie d’équilibrer. Il y a de la place pour tout le monde. Des projets très alternatifs et des acteurs spécialisés. La clé, c’est d’avoir une bonne communication et une bonne compréhension avec les pouvoirs communaux. Une occupation temporaire ne peut être parfaitement réussie qu’en collaboration étroite avec les autorités locales. Au final, j’y vois un symbole positif de la réappropriation de la ville par ses habitants. Et pas uniquement un projet urbain définitif qui mettra quinze ans avant de voir le jour.

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