Les confidences de la rockstar du manga Tsukasa Hôjô, créateur de Signé Cat’s Eyes et Nicky Larson

Tsukasa Hôjô © DR

Rockstar du manga, Tsukasa Hôjô a créé Cat’s Eye (Signé Cat’s Eyes) puis City Hunter (Nicky Larson) dans les années 80. Il était l’invité d’honneur de la grand-messe Japan Expo à Paris, tandis que ses œuvres ressortent chez Panini et leurs adaptations modernisées s’enchaînent. Confidences d’un vétéran.

Tokyo nocturne, années 1980. Cascades de néons sous une forêt de béton, mouvements de foule, magma sonore. Une idée de la mégalopole ultime, façon Blade Runner, incarnation de la reconstruction éclair nippone et d’un capitalisme consumériste lancé sans freins. Chez nous, une génération d’enfants vit alors un premier contact, fascinant, avec cet ultramoderne exotisme (et ses recoins interlopes), devant les dessins animés Signé Cat’s Eyes (dès 1986 sur FR3) et Nicky Larson (1990 sur TF1). Évidemment, les gamins ignorent que derrière les aventures du trio de cambrioleuses et celles du détective privé se trouve un même dessinateur, Tsukasa Hôjô, qui gratte des BD japonaises dans son coin avant qu’elles soient portées à l’écran (et que les Français les affublent de doublages aussi crétins qu’attachants). À l’époque, Hôjô lui-même ne sait pas que ses récits cartonnent à l’étranger, pas plus que ses collègues auteurs de Dragon Ball et des Chevaliers du Zodiaque: “Les mangakas comme leurs éditeurs sont un peu isolés du reste du monde… On n’aurait jamais pu imaginer qu’il existait, de l’autre côté de la planète, des gens qui voulaient regarder des personnages japonais, évoluant dans un univers japonais, dans un dessin animé fait par des Japonais! J’ai vaguement appris que City Hunter allait être diffusé en 1990 et on m’a alors informé que Cat’s Eye l’avait déjà été. Mais on ne m’a pas du tout dit que ça avait du succès.

© CAT’S EYE 1981 by TSUKASA HOJO / COAMIX Approved No.1W-09F

D’extraction modeste, Hôjô naît en 1959 dans la région de Fukuoka, loin de l’agitation de la capitale. C’est d’abord par appât du gain qu’il se lance dans le manga, visant les concours organisés par les majors de l’édition. Dans le mille: à 20 ans, il monte à Tokyo, intègre la revue pour ados Shônen Jump (celle qui publiera Dragon Ball) et, à l’été 1981, commence à dessiner Cat’s Eye. En cette époque de productivisme frénétique, ce métier tient de l’épreuve de force. Dans Jump, il faut livrer une vingtaine de pages par semaine. Beaucoup d’auteurs ont raconté l’enfer de la deadline; parmi eux, Hisashi Eguchi (Stop!! Hibari-kun!) dit même avoir été gardé à la rédaction pendant des jours, dans un cagibi, jusqu’à ce qu’il boucle son manuscrit! “Moi, ça ne m’est jamais arrivé, répond Hôjô. Mais c’était dur, oui! On m’a demandé une série alors que je ne savais rien du métier. J’ai tout improvisé et c’était un peu catastrophique! Je connaissais ma vitesse de dessin et je savais que j’étais incapable de faire 20 pages par semaine. Résultat, je n’avais ni le temps de dormir ni de manger.” Par chance, il n’a visiblement pas gardé de séquelles de cette pression délirante. “L’être humain est étonnant, il finit toujours par s’adapter. À force, j’ai fini par dessiner plus rapidement. Au départ, je faisais une semaine entière de nuits blanches. Au fur et à mesure, c’est devenu une seule nuit blanche par semaine, et au bout de six mois à un an, j’ai fini par prendre le rythme. Je ne pense pas avoir gardé de traumatisme. J’ai sans doute réussi à surmonter ça parce que j’étais jeune.

Autre difficulté: le rapport avec son éditeur. D’une main de fer, celui-ci contraint Hôjô à faire de sa série suivante, City Hunter, un polar hard boiled au sérieux affirmé (lui qui aspirait à la comédie) avant, faute de succès, de le laisser ajouter de l’humour (le public répond alors présent), puis de le pousser à plein gaz et contre son gré vers les gags grivois. Avec le recul, Hôjô s’en amuse. Moins drôle, en revanche: en 1991, les huiles de Jump décident d’arrêter City Hunter et l’auteur doit boucler le récit dans l’urgence. Coup de massue… Cinq ans plus tard, après quelques histoires courtes, Hôjô surprend avec Family Compo, une comédie bienveillante sur la transidentité, en avance sur son temps.J’ai d’abord apporté l’idée à Shônen Jump. Mon éditeur m’a dit: “C’est un manga de pervers, ça, hors de question qu’on le publie”. J’ai eu beau expliquer que non, ça serait une comédie, on m’a refoulé. “Non, tu vas faire du City Hunter.” “Vous vous foutez de ma gueule?, j’ai lancé. Vous m’avez forcé à arrêter City Hunter et maintenant, vous me demandez d’en refaire?” Je me suis complètement braqué et j’ai refusé.” Il lance ainsi Family Compo dans un mensuel ciblant les adultes et quitte le monde du manga pour ados. Mais pas celui de City Hunter, auquel il donnera finalement une pseudo-suite au ton plus dramatique, Angel Heart, sa dernière série à ce jour.

Un vétéran dans la ville

Juillet 2023. Lorsqu’on rencontre Hôjô, c’est sans ses habituelles lunettes noires. On perçoit dans ses yeux la gaieté, la malice ou les regrets du vétéran. La fatigue, aussi: celle du jetlag, et sans doute autant celle de l’âge. Hôjô ne dessine plus, sa vue s’est dégradée. Même s’il aimerait trouver une solution pour s’y remettre. Aujourd’hui, il se consacre à la maison d’édition Coamix qu’il a cofondée avec, notamment, son ancien éditeur des années 1980 (comme quoi, pas de rancune). Son but: encadrer une nouvelle génération d’auteurs -d’ailleurs, Hôjô fut jadis le mentor de Takehiko Inoue, mangaka et réalisateur du superbe The First Slam Dunk (lire Focus Vif du 3 août).

Rangé des crayons, Hôjô aurait pu tomber en désuétude. Que du contraire, on n’a jamais autant parlé de ses œuvres qu’en 2023. Outre l’avalanche de rééditions “Perfect” chez Panini (cet été: Cat’s Eye et les recueils d’histoires courtes), notons les films animés Lupin III vs. Cat’s Eye (dispo sur Prime Video) et City Hunter: Angel Dust (attendu pour 2024 en français), ou l’annonce d’une série française en live action Cat’s Eye (en tournage), nouvelle preuve de l’impact de Hôjô sur la jeunesse des années 80, après Nicky Larson et le Parfum de Cupidon de Philippe Lacheau. Mais ce spotlight sur l’auteur n’est pas que de la nostalgie. S’il continue à captiver, c’est que derrière les façades du hard boiled ou de l’humour rabelaisien se trouve un storyteller capable des plus émouvants portraits humains. Un talent qui éclate au plus fort lorsque, porté par une sincérité désarmante, l’auteur cède au (mélo)drame et laisse parler son regard sur ses semblables. Lorsqu’il retire ses lunettes noires.

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